Ferro-Lyon

Métros, trams, trains, funiculaires lyonnais…

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Admettons…

Publié le 05-01-2009 à 20h08

En ce début d’année, livrons-nous à un petit exercice de mise en place de desserte fiction.

Admettons que vous soyez président du SyTRAL. Votre ami, le président de la communauté urbaine a un ami qui a un projet de grand stade de 60 000 places et il vous demande aimablement de le desservir avec le réseau qui vous appartient. Compte tenu de la taille de l’équipement, votre mission (parce que vous l’avez acceptée) va consister à trouver les moyens de transporter entre 15 000 et 20 000 personnes en une heure vers et de ce nouvel équipement les soirs où sont organisés des évènements sportifs. Cette desserte, compte tenu des moyens financiers à votre disposition, devra être assurée avec le budget le plus mince possible. Ceci exclu naturellement toute idée de construire une ligne de métro qui de toutes façons ne transporterait que bien peu de monde par rapport à sa capacité et à l’investissement qu’elle aurait demandé, pendant 80 à 90% du temps.

Ce grand stade, situé au milieu de rien, à Décines-Charpieu, en bordure d’une autoroute, est à 10 minutes à pied d’une de vos lignes de tram, la T3. Mais cette ligne a une particularité : Elle emprunte des voies communes à une desserte aéroportuaire dont vous n’avez pas la maîtrise. Vous devez contractuellement laisser obligatoirement passer 4 rames par heure en provenance et à destination de l’aéroport. Cette desserte n’a pas non plus les mêmes arrêts que votre ligne de tram. Sur cette ligne, où elle dessert à 10 stations, la desserte aéroportuaire ne s’arrête qu’à 3. Cette particularité, de par la conception de la ligne, fixe le débit maximum de vos omnibus à une fréquence de 5 minutes, soit 12 trains par heure. Votre matériel roulant, non couplable en unité multiple à ce jour a une capacité unitaire de 272 passagers. Vous vous livrez donc à un rapide calcul : 12*272=3 264 passagers par heure et par sens… Il vous faut donc trouver une solution pour multiplier au moins par 3 la capacité dont vous disposer pour répondre à l’amicale demande. Bon courage mon papa ! disait l’autre. Mais admettons…

Admettons que vous ayez alors l’Idée… Que dis-je l’étincelle de génie qui permette de réaliser ce que votre ami vous demande. Tout d’abord, puisque vous ne pouvez pas aller au-delà de 12 trains par heure et par sens uniquement à cause des multiples stations que doit desservir votre ligne de tram et qui interfèrent avec la desserte aéroportuaire, pourquoi, les soirs d’évènements sportifs, ne pas caler la desserte des stations de la ligne de tram sur celle de la desserte aéroportuaire ? La desserte des stations « sautées » par les trams serait assurée par une ligne de bus fonctionnement uniquement à ces moments… D’ailleurs, ça tombe bien, le plus souvent les soirées sportives dans les stades ont lieu les samedi et dimanche, alors que les dépôts sont pleins de bus disponibles car la desserte des lignes est réduite ces jours-là par rapport à la semaine… Banco ! Cette solution vous permet de passer votre ligne de tram 20 trains par heure et par sens sans perturber la desserte de l’aéroport. Votre capacité de transport monte ainsi à 5 440 passagers par heure et par sens. Ensuite, votre budget vous permet, en raclant les fonds de tiroir, de rendre vos rames de tramway couplables en unités multiples, et d’allonger les quais des 4 stations où elles s’arrêteront dans cette configuration… Bingo ! Vous avez atteint la capacité demandée avec 10 880 places par heure et par sens. Admettons…

Vous vous posez une autre question : De combien de rames ai-je besoin pour assurer ce service ? Comme le temps nécessaire pour faire l’aller-retour sur la ligne dans cette configuration « express » est de l’ordre de 40 minutes, il va vous falloir environ 16 trains de deux rames. Soit 32 rames. Or votre parc de tramway se monte à 73 rames pour exploiter 4 lignes. Sur ce nombre, vous en avez toujours au minimum de l’ordre de 5 à 7 en maintenance, révision ou en réserve. Ce qui vous laisse 66 rames disponibles pour l’exploitation. Votre ligne qui habituellement n’en mobilise au maximum qu’une dizaine, soit moins de 1/6 du parc va les soirs de match en réclamer la moitié. Sauf à acheter au moins une dizaine de rames supplémentaires, il n’y a pas d’autre solution que de fermer partiellement plusieurs lignes, ou une en totalité. Admettons que vous trouviez les 30 à 50 millions d’euros nécessaires pour acheter les rames supplémentaires nécessaires au maintien complet de l’exploitation de votre réseau et pour agrandir vos dépôts afin d’accueillir ce matériel supplémentaire. Admettons… Sachant qu’en parallèle, tout le reste du réseau a besoin d’investissements car depuis plusieurs années le nombre de passagers a crû à raison de 5 à 7% par an en moyenne. Il vous faudra donc expliquer notamment aux personnes qui s’entassent dans le métro D faute de place, que la desserte du stade est prioritaire à leur sort. Mais admettons…

Une autre question va surgir immanquablement dans votre esprit : Comment vont se répartir les flux de passagers allant ou venant du stade ? Ceux allant vers la banlieue, ce n’est pas compliqué, puisque le seul arrêt, et terminus, venant du stade sera Meyzieu ZI et son gigantesque parking à construire. Dans l’autre sens, il vous semble assez probable que de l’ordre de 70 à 80% des passagers allant vers Lyon vont utiliser la correspondance avec la ligne A du métro à Vaulx-en-Velin – La Soie. Ce qui veut dire qu’à cette station de correspondance, les rames de votre tramway laisseront sur les quais entre 380 et 430 passagers toutes les 2 minutes et demi. Or, les rames de métro, en supposant que vous puissiez les faire circuler à une fréquence de 2 minutes et demi n’ont qu’une capacité de 384 places en tassant à 6 passagers par mètre carré. Bref, toutes les deux minutes et demi, vous devrez gérer jusqu’à 50 personnes « en trop »… Et encore, à ce prix-là, seules les personnes venant du stade seront transportées, et ce au moins jusqu’à la station Charpennes – Charles Hernu où les rames devraient se vider en partie. Mais tout n’est pas forcément perdu, car moyennant une gestion des flux efficaces, peut-être arriverez-vous à convaincre 50% des voyageurs de rester jusqu’à la Part-Dieu – Villette. Et dans ce cas, c’est bon, sauf que la SNCF risque de ne pas apprécier d’avoir à gérer un flux de l’ordre de 100 personnes par minute traversant le hall de sa gare en plus de ses propres passagers. Mais ce ne sont que vétilles, donc admettons…

Vous n’allez pas manquer de vous demander : Avec tous les passages à niveau existants sur la ligne, mes trams ne risquent-ils pas de bloquer toute la circulation du secteur ? C’est une question intéressante… En effet, un tram toutes les deux minute et demi dans chaque sens veut dire qu’en moyenne les barrières se fermeront toutes les minutes quinze. Soit 48 fois par heure En imaginant que la durée moyenne de fermeture soit de 25 secondes, à chaque fois, cela donne un total de 20 minutes par heure… Plutôt gênant à un moment où pendant que vous transporterez (au grand maximum) vos 10 000 spectateurs par sens, 40 000 prendront leur voiture faute de desserte en transport en commun adaptée à leurs besoins. Même en admettant que chaque véhicule automobile transporte en moyenne 3 personnes (Ce qui est plutôt élevé. Une moyenne de 2,5 serait certainement plus raisonnable), on arrive au total respectable de 13 333 véhicules devant s’insérer dans la circulation du secteur. Mais admettons…

Il reste juste un dernier point, mais vous l’avez oublié : Le tramway T4 que vous projetez va, par votre choix exclusif de la faire passer par l’est de la gare, posséder 500 mètres de voies communes avec votre desserte de stade. En heure de pointe, cette ligne sera desservie toutes les 6 minutes dans les deux sens. C’est-à-dire, que sur ce tronçon, certaines fins d’après-midi d’avant match, ce ne sont pas 24 trains par heure et par sens qui vont devoir transiter, mais 34, soit, deux sens confondu, 68 circulations par heure. Ou si vous préférez, plus de une par minute. Or ce tronçon coupe trois artères importantes, l’avenue Paul Bert, l’avenue Félix Faure, et l’avenue George Pompidou. En période de match, la fréquence des trams va donc rendre très difficile toute liaison tant par véhicule individuel que par bus entre la Part-Dieu et une partie de l’est de l’agglomération. Ceci va en particulier empêcher les bus de substitution, auxquels vous pensiez un peu plus tôt, desservant les stations intermédiaires, de circuler correctement. Et là, il n’y a pas d’autre solution économique que de supprimer des circulations de trams, et donc réduire la capacité de transport pour prendre en compte cette contrainte. Il faut cette fois bien l’admettre.

Bref, vous devez admettre qu’il n’y a pas de solution convenable et pertinente pour la desserte d’un stade à Décines-Charpieu sans changer au moins un choix. Allez-vous demander à votre amis de proposer à son pote de construire son stade ailleurs, dans un site plus simple à desservir (par exemple à Vénissieux où vous êtes désormais élu, entre les lignes de métro D et de tramway T4), ou allez-vous déplacer votre projet de ligne T4 ?… À moins qu’il ne faille faire les deux d’ailleurs…