Publié le 09-01-2010 à 12h30
Le mardi 29 décembre, le conseil constitutionnel a annulé les dispositions prévoyant la mise en place d’une contribution climat-énergie connue sous le sobriquet de « taxe carbone » arguant d’une rupture d’égalité devant l’impôt du fait de l’exemption de nombreuses industries voraces en énergie. Le gouvernement a aussitôt promis le rétablissement d’un nouveau dispositif. Cet outil, rappelons le, sera une taxe imposée à l’utilisateur final sur l’énergie fossile émettrice de gaz à effet de serre qu’il consomme (dérivés pétroliers, gaz, charbon…)
On ne peut que s’indigner contre l’inanité d’un tel impôt. D’une part car cette taxe est tout sauf à visée écologique, car elle ne concerne pas l’industrie nucléaire dont les déchets représentent une menace environnementale courant sur des milliers de millénaires tant en terme radioactif que purement chimique. Risque qui pourra impacter plus de dix mille générations, alors que le dioxyde de carbone et ses funestes effets n’en impactera « que » cinq à dix. D’autre part, cette taxe ne vise pas à faire payer ceux qui sont à l’origine de la gabegie actuelle, mais préfère taxer les complices involontaires que sont les particuliers.
En effet, depuis plus de 80 ans, toutes les politiques publiques et économiques en France plus que partout ailleurs en Europe ont été orientées vers une incitation à consommer toujours plus d’énergie en général et d’énergies fossiles en particulier. Ainsi, dans le domaine des transports, on ne peut qu’être frappé de la vitesse de destruction des divers réseaux ferroviaires français au XXe siècle. Comme le rappelle utilement dans son numéro de janvier 2010 la revue Historail, le réseau ferroviaire comptait à la fin des années 1920, 62 500 kilomètres ouverts aux trains de voyageurs alors qu’à ce jour, il se réduit à moins de 20 000 kilomètres. Un réseau de communication amputé volontairement de plus des 2/3 de sa longueur en moins de 70 ans, aucune période de l’histoire n’avait vu ça auparavant ! Cette politique délibérée a été mise en place pour favoriser l’automobile. Ainsi, dès les années 1930, l’industrie automobile agit en sous-main, place des hommes de paille à des postes clefs des transports collectifs ferroviaires. Exemple le plus parlant, entre 1931 et 1937, en six ans, le réseau des tramways parisiens fort de 700 kilomètres de lignes entièrement rénovées moins de 10 ans auparavant a été totalement démantelé au profit d’autobus poussifs et sous-capacitaires. De plus de nombreuses compagnies ferroviaires secondaires sont alors dans de grandes difficultés financières, à la fois à cause de la concurrence des autocars, mais aussi et surtout, du fait de la vétusté de leur matériel et de leur manque de coordination au niveau des correspondances. Le matériel vétuste et les installations décrépies sont alors le prétexte tout trouvé pour les concessionnaires de lignes de chemins de fer pour faire accepter aux autorités concédantes le recours à l’autocar comme substitut économique. Si dans certains cas, cela s’est traduit par une amélioration du service, au moins dans un premier temps (nombre de rotations plus élevés, proximité plus grande des arrêts avec les villages, voire rapidité…), le plus souvent cela n’a été que le début d’une dégradation menant à la disparition totale de la desserte.
De même, il est faux de croire que la SNCF a été créee pour sauver le réseau ferroviaire. Elle n’a été créée que pour liquider le réseau (même si les choses ne se sont pas passées exactement comme prévu, notamment à cause de la seconde guerre mondiale). Ainsi, entre 1938 et 1939 ce sont 9 700 kilomètres de lignes qui sont fermés aux voyageurs, soit le quart de son réseau, le plus souvent sans desserte de substitution. On voit donc que dès avant la seconde guerre mondiale, les habitants des zones délaissées, qu’ils soient riches ou pauvres, sont poussés vers la motorisation individuelle. Cette politique imbécile au profit exclusif de l’industrie automobile s’est cruellement faite ressentir pendant la guerre, certaines contrées perdant du jour au lendemain toute liaison avec l’extérieur du fait de la réquisition des autocars et du contingentement strict des carburants.
Rythme annuel de fermeture des lignes par la SNCF entre 1938 et 1980 (Doc. Historail).
S’il aurait été logique de penser, au vu des conséquences des destructions des années 1930, qu’après-guerre une inflexion aurait été possible pour le maintien des transports en commun, il n’en a rien été. Bien au contraire ! À cette époque est venu se greffer sur les logiques du lobby automobile une branche supplémentaire : La promotion du modèle d’aménagement du territoire des États-Unis d’Amérique. Ce modèle qui se caractérise par une déstructuration de la ville passant par la séparation de l’habitat d’avec les activités économiques et commerciales dont la conséquence principale est un étalement géographique massif des villes. Cet étalement se situe au confluent des intérêts de l’industrie automobile et des promoteurs immobiliers. Ce modèle, en totale contradiction avec l’histoire des villes françaises et européennes, à la fois denses en terme de population et mixtes en termes d’usages a été poussé à la fois par les milieux politiques et économiques soucieux de faire émerger de grosses entreprises tant dans la construction automobiles où elles préexistaient, que dans le BTP, où au sortir de la guerre il n’existait pas de groupe réellement structuré. Toutes les options politiques et économiques de la période dite des « trente glorieuses » est assise sur ces deux objectifs. D’autres se sont ensuite greffés par opportunisme au fil du temps venant accélérer et aggraver ce mécanisme.
Ainsi, le système a été d’abord amorcé par l’indispensable reconstruction dans les années 1940-50 et s’est poursuivi par un gigantesque programme d’équipement dans les années 1960 à 1980. Durant cette période, il a été réalisé à la fois un programme autoroutier gigantesque portant le réseau de 128 kilomètres en 1960 à 6 180 kilomètres en 1989 et 9 431 en 2008. Dans le même temps, de nouveaux quartier ont été construits en nombre (ZUP, lotissement) dans des secteurs totalement à l’écart des transports publics et souvent des équipements publics, où seule une desserte indigente et inadaptée aux besoins est mise en place. Face à la pénurie de logements durant cette période, les gens n’ont pas le choix, ils vont habiter ces quartiers… et s’équiper par nécessité de la voiture indispensable à leurs déplacements du quotidien. Cependant, les ZUP, quartiers vites construits avec des aménagements bas de gamme sont rapidement délaissés par les populations qui en ont les moyens. Celles-ci, déjà équipées de véhicule automobile par nécessité, n’ont alors quasiment plus d’autre contrainte que le coût pour choisir leur lieu de logement. Les logements dans les centres urbains étant les plus chers et disposant rarement de possibilité de stationnement pour les véhicules sont donc inadaptés à leurs demandes. Elles se rabattent logiquement sur des secteurs de périphérie, où grâce aux infrastructures autoroutières, elles pourront satisfaire le rêve de pavillon que leur ont vendu les médias de masse. Ceci tout en restant à un temps de parcours raisonnable de leurs lieux de travail, de loisir et de consommation… Le rêve américain de petite maison dans la prairie se transforme ainsi en pavillon séparé de ses voisins par de hautes haies de thuyas dans un lotissement isolé. Ainsi, depuis plus de quarante ans tout a été fait politiquement pour que les villes s’étalent de plus en plus, au nom d’intérêts économiques bien compris… Mais au prix d’une gabegie énergétique épouvantable.
Depuis quelques années, on assiste à un changement de discours. Ainsi, les hommes politiques ou chefs d’entreprises pousse-au-crime habillent leurs déclarations d’une nouvelle manière. On parle ainsi de réduire l’étalement urbain… On en parle, mais on se garde bien de le faire, tant les intérêts qui s’y opposent sont puissants (Surfaces commerciales de périphérie, pavillonneurs, propriétaires fonciers…). Dans le domaine des transports, on crée enfin les dessertes en transports collectifs de proximité dont les agglomérations ont tant besoin depuis si longtemps… Il reste cependant de très vastes zone mal ou non desservies. Dans le même temps, on se garde bien de toute politique fortement contraignante sur l’usage des véhicules automobiles. Pire, on continue à en encourager l’usage. Ainsi, le graphique suivant paru dans la revue Transflash de février 2009 est éloquent : Les investissements routiers représentent 64% des investissements publics en infrastructures de transport, soit 10,7 milliards d’euros en 2007, en hausse de 40% depuis 1997. Les dépenses d’infrastructures pour les transports en commun urbains et les transports ferroviaires interurbain culminent péniblement aux alentours de 2 milliard d’euros chacune.
Montant comparé des investissements publics en euros courants dans les différentes infrastructures de transport entre 1997 et 2007 (Doc. CERTU/Transflash).
Dans ce contexte les discours sur le « rééquilibrage des investissements » relève de la fiction d’autant que dans le contexte lyonnais, outre la réémergence du projet autoroutier de TOP (plus de 2 milliards d’euros, soit, à titre de comparaison de l’ordre de 20 kilomètres de ligne de métro souterrain ou, si vous préférez 100 kilomètres de ligne de tramway), d’autres projets sortent du chapeau. Ainsi le conseil général du Rhône a annoncé en décembre, en lien avec la construction de l’autoroute A89, à la fois un projet de pénétrante routière pour la vallée de l’Azergues et des déviations à péage pour L’Arbresle et Sain-Bel… Le tout estimé à 220 millions d’euros. Bref, en même temps que l’on veut par la fiscalité faire que les gens soient des parangons de vertu, les politiques pousse-au-crime se poursuivent… Ainsi où est la taxe qui pourrait frapper lourdement l’urbanisation des espaces ruraux et agricoles ? Où sont les lois qui imposeraient l’indispensable mixité fonctionnelle des zones urbaines dans les document d’urbanisme ? Quand fera-t-on enfin payer le vrai coût de la route aux automobilistes et aux transporteurs routiers ? Bref, c’est un peu comme si la taxe carbone n’était que l’habillage de bonne conscience d’un impôt supplémentaire frappant les personnes qui se sont faites piéger par le système, tout en ne changeant surtout rien au reste.
Sources : Historail. janvier 2010 n°12. p 36-95. ISSN : 1957-5971.
Transflash. n°340/février 2009. p 3.