Publié le 01-06-2007 à 18h55
Comme vous le savez, la région Rhône-Alpes (autorité organisatrice des transports régionaux et notamment ferroviaire) est en train de mettre en place avec force communication, une nouvelle carte d’abonnement : la carte Oùra. Pour se faire, la région a signé avec d’autres autorités organisatrices (les département du Rhône et de l’Isère, le SyTRAL, la SMTC, et Saint-Étienne Métropole) Certains ont présenté cette nouvelle carte comme une « carte orange », et l’objectif affiché au départ semblait être celui-ci. Qu’en est-il réellement, et cette ambition peut-elle se concrétiser rapidement ?
La réponse est loin d’être certaine, car si la date de 2009 avait initialement été avancée, actuellement, les objectifs temporels ne sont plus clairement annoncés. Certes, la carte Oùra est en cours de déploiement, mais dans l’état actuel des choses, elle n’est absolument pas comparable à la carte orange, et ce pour une raison simple, c’est que la carte orange est une carte zonale ce que la carte Oùra n’est pas. Avec une carte orange, l’usager peut prendre TOUS les moyens de transports en commun circulant dans périmètre pour lequel il a payé sa carte. Peu importe qu’il s’agisse de bus, d’autocars, de métros, de RER ou de trams, ils sont tous accessibles avec la carte orange. De plus, il peut faire un nombre de trajets totalement illimités pendant la période de validité de son coupon.
La carte Oùra est elle une carte « origine-destination », mais plus contraignante encore, car il faut uniquement utiliser les lignes (ou les réseaux urbains) pour lesquels on s’est abonné. Pour prendre un exemple concret, un utilisateur qui prend une carte Oùra lui permettant de faire Lyon-Vienne par le train ne pourra pas décider de faire ce trajet un jour en utilisant les bus départementaux… Ou alors en payant en plus.
Cette situation est liée à la fragmentation des responsabilités sur les transports en commun. Tous les niveaux de collectivité territoriales (communes ou intercommunalités, départements et région) ont une parcelle de responsabilité et la protègent jalousement. Ceci n’est pas le cas en Île de France, où il existe une seule autorité organisatrice : le STIF. Grâce à cette unité, le réseau de transport public est unifié et cohérent. On ne voit pas de lignes de bus faire le même trajet que des trains aux mêmes heures. Tous les moyens sont mobilisés pour que le réseau soit le plus cohérent – et donc le plus économique pour le meilleur service – possible.
Or en province, le morcellement des responsabilités provoque à l’inverse des surcoûts, des réseaux qui ne sont pas articulés entre eux, et parfois des concurrences frontales. Chaque autorité organisatrice a sa propre grille tarifaire, ses tarifs sociaux, ses abonnements. Bref, chacun ses recettes, et chacun ses dépenses. Et c’est là que le bât blesse, car c’est cette histoire d’argent (doublé d’intérêts personnels et carriéristes de certains politiciens) qui bloque tout système tarifaire zonal. Ainsi, la carte Oùra, malgré le souhait du conseil régional, n’est pas et ne sera pas avant peut-être des décennies une carte couvrant tous les transports de la région. On peut d’ailleurs remarquer la majorité des départements de la région n’ont pas rejoint cette initiative. À ce jour, l’Ardèche, la Drôme, la Savoie et la Haute-Savoie ne souhaitent visiblement pas que leur titre de transport (même pas leur tarif !) soit commun avec celui de la région. De même, les agglomérations moyennes disposant d’un réseau de transport urbain semblent (provisoirement ?) rester à l’écart du dispositif.
Quand une autorité organisatrice accepte que ses titres de transport soient portés par la carte Oùra, elle ne va pas forcément accepter de faire une ristourne à une personne ayant déjà un autre abonnement sur la carte. Bref, le système Oùra se limite le plus souvent à réduire en une seule carte ce qui avant été porté par plusieurs. Finalement, ce système ne génère que peu d’économies pour l’usager, et risque même de lui faire trouver le transport en commun cher, car avant il payait ses abonnements un à un, séparément alors que là, si tous ses abonnements sont sur la carte, lorsqu’il passe mensuellement au rechargement, il voit la somme globale s’afficher.
De plus, le déploiement de ce nouveau système a un coût significatif pour la collectivité. Il faut installer des bornes de validation dans toutes les gares, équiper les autocars interurbains, parfois rééquiper des véhicules de transport urbain, et installer des automates permettant la recharge des cartes, Tout ceci alors que l’on voit poindre à relativement courte échéance des projets de dématérialisation complète des titres de transport. (le Japon a été précurseur, avec des abonnements qui sont chargés dans les puces de téléphones portables et des essais sont actuellement en cours en France) Bref, des investissements conséquents sont réalisés, alors même que le système n’est pas satisfaisant et que sa pérennité peut se voir remise en cause à relativement brève échéance.
Quelle serait l’une des solutions possible à cette situation ? Tout d’abord, on voit clairement qu’il y a un conflit de compétence, et que trop de collectivités s’occupent de transport public sur un territoire donné. Il serait donc souhaitable que la région récupère toutes les compétences actuellement dispersées comme c’est le cas en Île-de-France. Ceci permettrait de concevoir un réseau unique, avec une tarification homogène pour tous les transports sur le territoire régional. Ceci donnerait une cohérence et une efficacité nouvelle aux transports publics. Néanmoins, l’échelon régional n’est pas forcément pertinent pour toutes les lignes urbaines. Il faudrait donc prévoir une possibilité de délégation à l’intercommunalité de la mise en œuvre de la politique de déplacement. La région restant alors maîtresse des financements et des tarifs, mais l’intercommunalité pouvant adapter les lignes et leurs tracés à ses besoins en respectant l’enveloppe financière qui lui est déléguée.
Bref, on voit que la carte Oùra ne peut apporter une réponse totalement pertinente aux questions de tarification des transports en commun, car cela reste un enjeux aux mains d’autorités organisatrices divisées. Encore une fois, on a cru résoudre des questions d’organisation politique avec une réponse à 100% technique, en mettant la charrue avant les bœufs. La question de la tarification des transports en commun et de leur homogénéisation sur un même territoire ne peut passer que par une redistribution complète des responsabilités financières et opérationnelles entre les acteurs. Tant que ce chantier n’aura pas été mené à bien, il est à craindre que la carte de transport Oùra ne soit qu’un placebo… Hélas !