Ferro-Lyon

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Une décentralisation, mais pourquoi faire ?

Publié le 31-12-2012 à 12h43

Le gouvernement a annoncé dès son installation la volonté de mettre en place un « acte III » de la décentralisation. Ce souhait a pour objectif ouvertement affiché de « supprimer les doublons » et « simplifier le millefeuille administratif français ». Si l’objectif peut sembler plein de bon sens, il n’en reste pas moins utopique. De plus, l’avant-projet de loi (non encore présenté au conseil des ministres et encore moins voté par le Parlement) comporte des éléments qui, s’ils sont promulgués en l’état, vont bouleverser le paysage ferroviaire.

Pour bien comprendre l’évolution en cours et les bouleversements profonds qu’elle entraîne, il est nécessaire de remonter un peu dans le temps. Historiquement, depuis la période de la monarchie absolue, la France est un État hautement centralisé. Ce centralisme qui perdure depuis au moins 400 ans a structuré les mentalités en profondeur. Cependant, depuis le XIXe siècle, il y a un mouvement régulier de décentralisation. Ainsi, à partir de la fin du XIXe siècle, après la naissance de la IIIe République, les communes ont gagné progressivement une certaine autonomie. Cette autonomie s’est grandement élargie en 1982-83, puis en 2004, avec les « lois de décentralisation », désormais rebaptisées « actes I et II ». Ces lois ont surtout organisé des transferts de moyens (un peu) et de compétences (beaucoup) de l’État vers les collectivités locales. Le futur texte reprendra les mêmes principes. En effet, même si de nombreux élus pleurent sur les moyens insuffisants alloués par l’État, les barons locaux sont toujours plus avides de concentrer des pouvoirs entre leurs mains et arriver enfin à découper des fiefs au sens moyenâgeux du terme, où ils pourront faire régner leur loi en toute impunité. Il suffit de voir comment le président de la communauté urbaine de Lyon pousse du col pour l’élargissement de ses prérogatives dans les débats autour de ce texte pour s’en convaincre. Cependant, on peut douter de l’intérêt pour le citoyen du projet « d’eurométropôle » qu’il défend ardemment.

Ce projet de « Très Grand Lyon » revient à poser la question du périmètre pertinent pour administrer un territoire. Disons le tout net : Il n’existe pas (et n’existera jamais) un périmètre pertinent unique permettant de traiter toutes les problématiques d’un territoire. C’est si vrai que toute la structure administrative de coopération entre les collectivités locales en découle. Pour le comprendre, il faut une nouvelle fois remonter en arrière dans le temps. Après la Révolution française de 1789 et en réaction aux multiples découpages administratifs incohérents de la période royale, le territoire a été structuré en trois niveaux : l’État, le Département, la Commune. À l’époque de la révolution cette structuration simple suffisait largement à répondre aux besoins de la population. Mais au XIXe siècle, la révolution industrielle a entraîné une forte croissance urbaine et l’apparition de nouveaux équipements « de confort » (réseaux d’égouts, d’eau potable, tramway, électricité…) À la fin de ce siècle, face à ces nouveaux équipements, la structuration en communes, chacune considérée comme pouvant être administrée indépendamment, a commencé à montrer ses limites. Dans certains cas, des communes ont construit, pour leurs besoins, des équipements sur le territoire d’autres (cas par exemple de l’aqueduc de la Vanne desservant en eau Paris). Dans d’autres, les communes ont choisi de construire des équipements en commun. Pour permettre cette possibilité, la IIIe République a donné le droit au communes de s’associer dans des syndicats intercommunaux. Au fur et à mesure de l’expression des besoins, de la multiplication des équipements de service public nécessaires aux habitants et des opportunités d’accords entre communes, de nombreux syndicats intercommunaux avec des objets divers ont été créés (gestion de l’assainissement, de l’adduction d’eau, de collecte des déchets ménagers, de construction et de gestion d’un équipement sportif ou d’un parc, etc, etc.). Ceci d’autant qu’avant les années 1990, c’était le seul dispositif permettant une coopération entre communes rurales. Les communes urbaines avaient, elles, depuis 1958 la possibilité de créer une intercommunalité plus structurée, et ayant des compétences plus larges dénommée « district urbain » (il y a aussi le cas particulier des communautés urbaines de Bordeaux, Lille, Lyon et Strasbourg instituées par la loi en 1966). Cependant, le syndicat a une forme rassurante pour les élus, surtout des petites communes : Les compétences qui lui sont confiées sont clairement délimitées et ne peuvent être modifiées sans accord des collectivités adhérentes.

À partir de 1992, l’État change ouvertement de logique et choisi de pousser les collectivités locales à se fondre dans des ensembles plus importants inscrits dans des logiques de projet de territoire cohérents et non uniquement de gestion des équipements au coup par coup. Ainsi apparaissent les communautés de communes et les communautés de villes (devenues depuis communautés d’agglomérations). Le territoire français a été couvert de ces nouveaux établissements de coopération intercommunale à marche forcée puisqu’au 1er janvier 2013, soit à peine 20 ans après leur institution, tout le territoire devrait être couvert par des structures de ce type. Or ces structures sont venues encore complexifier le « millefeuille administratif ». En effet, la loi a bien prévu que les syndicat dont toutes les communes adhérentes se trouvent dans une même communauté (de communes, d’agglomération, ou urbaine) disparaissent au profit de la communauté. Mais comment faire lorsqu’un syndicat couvre des communes situées dans des communautés différentes ? Un simple exemple pour toucher du doigt la complexité de la réponse : Prenons le cas d’un syndicat de collecte des ordures ménagères qui couvre 250 communes, soit un territoire de 50 kilomètres par 30, ce qui pour cet objet correspond à l’échelle pertinente notamment en matière de ratio coûts/prestations. Doit-on maintenir le syndicat et faire des communautés de communes de taille plus réduites à l’échelle du bassin de vie des habitants, ou bien une grande communauté d’agglomération qui vient s’y substituer, alors que le ramassage des ordures sera le seul point commun entre les extrémités du territoire ? À l’échelle de l’agglomération lyonnaise, le questionnement est le même : Est-il pertinent dans tous les domaines de la vie courante d’avoir une « eurométropôle » qui s’étendrait de Saint-Étienne à Bourg-en-Bresse et de Tarare à La-Tour-du-Pin ? Quelle proximité peut-il y avoir entre les élus et les habitants sur un tel territoire de plus de 2 millions d’habitants ? Quelle démocratie locale peut-on imaginer pour cet ensemble… À moins de le subdiviser en territoires de taille plus réduite ? Peut-on réellement croire qu’un pilotage unique centralisé dans tous les domaines est possible pour un ensemble aussi gigantesque ?

Or tous les raisonnements de ceux qui veulent « simplifier le millefeuille administratif » est basé sur le postulat simpliste qu’il suffit de dessiner Le Périmètre Pertinent, puis de regrouper, fusionner, rationaliser, que ça marchera mieux, et qu’il y aura des économies de faites. Et surtout, il faut faire ces opérations très vite. Fadaises ! Bien sûr, toutes les structures peuvent être améliorées, optimisées, réorganisées. C’est ce qui se fait déjà (ces dernières années, le nombre de structures intercommunales a déjà été réduit fortement, quoiqu’il puisse être dit par ailleurs), mais le sujet central n’est pas dans la structure… N’importe qui est capable de faire du meccano avec la technostructure et de dessiner un organigramme ! Par contre personne n’interroge les citoyens sur le niveau de services publics souhaité ou attendu. Comment peut-on parler des moyens sans définir le niveau de service souhaité ?… Ou alors, certains dans leurs bureaux, surtout sans en référer à la population, ont déjà fixé le niveau de service auquel elle aurait accès et ils adaptent l’organisation du territoire en conséquence… C’est peut-être pour ça que certains veulent aller si vite. Il est facile de décréter quand on est confortablement assis dans un bureau parisien ou lyonnais, où les services publics sont très présents (hôpital à moins de 10 minutes d’ambulance, ramassage des ordures tous les jours, métro et transports en communs à la porte du bureau…) que le territoire français est sur-administré, qu’il y a des doublons à supprimer. Une telle analyse vue par exemple des hauteurs d’Yzeron, situé seulement à 20 kilomètres à vol d’oiseau de la place Bellecour, apparaît totalement inepte et déconnectée des réalités du terrain. Quant aux économies, présentées comme le Graal des réorganisations territoriales, elles seront au mieux très faibles… Et certaines réorganisations seront probablement beaucoup plus coûteuses que la situation actuelle. Car ne l’oublions pas, sauf à risquer une désorganisation globale, une réorganisation des collectivités locales ne peut faire l’impasse sur l’existant et les moyens d’assurer la continuité de son fonctionnement. On ne peut pas, sauf à vouloir déclencher un chaos sans nom, supprimer une structure sans s’assurer qu’une autre la remplacera dans ses missions de service public… Par exemple supprimer un syndicat intercommunal d’adduction d’eau potable pose nécessairement la question de la continuité du service pour les usagers. Personne ne comprendrait que des milliers d’usagers se retrouvent privés d’eau car il n’y a pas de structure publique pour gérer les installations d’un syndicat qui vient d’être dissout. Bref, si l’on continu sur la voie tracée actuellement, ce n’est pas le « mieux avec moins » vanté par les technocrates qui va arriver, mais le « moins pour plus cher ».

Sur le plan plus spécifiquement ferroviaire, l’avant-projet de loi prévoit des évolutions majeures, propres à modifier radicalement l’aspect du réseau ferroviaire et à en abolir son unité. En effet, les régions pourraient demander à RFF le transfert de tout ou partie d’une infrastructure ferroviaire d’intérêt local. Cela pose question. En effet, le patrimoine de RFF ne contient que des lignes concédées sous le régime de l’intérêt général… Or l’État semble désormais considérer qu’une partie de ce patrimoine n’est pas d’intérêt général, mais local. Fort bien, mais quels seront les critères pour en juger ? Autour de Lyon, un exemple vient immédiatement à l’esprit : l’étoile de Tassin, dit réseau de l’ouest lyonnais, sur lequel la région Rhône-Alpes vient de mettre en service un train-tramway. Si la ligne de Lyon-Saint-Paul à L’Arbresle peut sans trop de difficultés être considérée comme de desserte locale, cela semble beaucoup plus contestable pour celle de Lozanne à Brignais et Givors. En effet, cette dernière infrastructure bien tracée, quoique actuellement employée et équipée pour n’être parcourue que par des trains-tramway de desserte locale, n’en est pas moins un itinéraire adapté physiquement au trafic marchandises pour éviter Lyon. Le céder à la région reviendrait à nier tout rôle potentiel de cet itinéraire pour le contournement de l’agglomération par les flux de transit principaux… Et rendrait donc indispensable la construction à grands frais par l’État d’un autre itinéraire ayant les mêmes fonctions. Est-ce rationnel et pertinent ?

Un autre point important sur le transport ferroviaire serait que les régions en tant qu’autorités organisatrices des transports ferroviaires pourraient librement fixer leurs tarifs en dehors du cadre existant au niveau national. Cela pose directement la question de la continuité et de l’homogénéité des tarifs sociaux pour les passagers. Quid de la carte famille nombreuse ou du billet de congés payés ? Les tarifs liés à l’âge des usagers seront-ils fixés de manière homogène ? Est-ce aussi la fin des billets uniques permettant d’aller de n’importe quelle gare du réseau à n’importe quelle autre ? Autant de questions importantes pour les usagers, et qui méritent des éclaircissements.

Enfin, l’État semble vouloir se désengager un peu plus de l’organisation des trains interrégionaux. En effet, seuls relèveraient de sa compétence les trains traversant au moins trois régions. Les autres relèvent des régions concernées et d’un éventuel accord entre elles. On voit donc ici le parachèvement de la logique visant une nouvelle fois à sacrifier des territoires entiers. En effet, dans certains cas, les logiques de régions limitrophes ne se croisent pas, voire ne recoupent pas les logiques de déplacement de populations à longue distance. L’État, pour autant qu’il en ait la volonté, est le mieux à même de coordonner l’organisation des transports sortant du stricte cadre régional.

Bref, ce projet de loi, bien qu’encore non finalisé, pose des questions majeures à la fois en terme d’organisation territoriale, mais aussi de structuration du réseau ferroviaire. Il est scandaleux que ce débat, compte tenu de l’impact que ses conclusions vont avoir sur l’ensemble des habitants du pays, se tienne en petit comité. Mais le pire est probablement qu’il est actuellement dominé, notamment pour la partie concernant la structuration du territoire, par des ambitions personnelles, dont les objectifs sont très loin de l’intérêt général.

Depuis quelques semaines, il semble que les « eurométropoles » ont été rebaptisées « métropoles d’intérêt européen » (MIEu en langage technocratique… Ça permettra au moins quelque jeux de mots si cette appellation demeure.)
La version brouillon datée du 27 novembre 2012 du projet de loi de décentralisation, ainsi qu’une analyse se trouvent sur le site internet la Gazette.fr.