Ferro-Lyon

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Où va le système ferroviaire français ?

Publié le 31-07-2014 à 17h58

Le système ferroviaire français est malade. Malade du sous-investissement durant des décennies, du surendettement, d’une gestion à la godille. Tout le monde est d’accord sur le diagnostic. Le problème, c’est que personne ne veut mettre l’agent nécessaire réforme du système sur la table. Ainsi, la réforme du système qui vient d’être votée au Parlement n’apporte aucune solution quant à la pérennité à long terme du réseau.

Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir en 1995. À cette époque, la SNCF, alors unique opérateur du système ferroviaire, envisage avec la bénédiction des hauts fonctionnaires du ministère des transports de fermer 6 000 kilomètres de lignes dites « non-rentables ». La mobilisation très forte des cheminots et une grève dure vont conduire à l’échec de ce projet… Mais les hauts fonctionnaires ont de la suite dans les idées et vont mener une politique sur le long terme visant à saborder l’essentiel du réseau ferroviaire, pour pouvoir ensuite liquider les cheminots.

Ainsi, ils ont organisé un sous-investissement massif dans le domaine de l’entretien des voies ferrées classiques, tout en accroissant l’endettement déjà très élevé de la société pour la construction de lignes nouvelles, ou l’achat en nombre de locomotives finalement peu utiles (Il suffit pour s’en convaincre de voir les photos impressionnantes de files de locomotives garées sans emploi depuis des années et pourrissant à Sotteville-lès-Rouen). Les dépenses d’entretien ont été réduites à la portion congrue. Ceci qui a conduit à une dégradation progressive de l’infrastructure. Ainsi, les arbres ont poussé le long des voies, déstabilisant les ouvrages en terre, ruinant les murs de soutènement… Et même gênant l’exploitation en automne, avec des problèmes de patinage ou de signalisation. Les voies se sont progressivement déformées à cause des mouvements de terrains. Les installations de signalisation sont devenus vétustes, voir dangereuse, et ce malgré l’empilement de dispositifs électronique et de règles (KVB, DAAT, VISA). Ces phénomènes ont touché l’ensemble du réseau à des degrés divers, mais le manque d’entretien a particulièrement frappé les lignes dites secondaires (comprenez, « qui ne passent pas par l’Île-de-France ») Les effets d’une telle politique, ainsi qu’on a pu le voir en Grande-Bretagne, mettent de 15 à 20 ans à se manifester. Au bout d’une telle période, on a donc le choix entre continuer à faire rouler normalement les trains, au risque d’accidents graves (déraillement sur des aiguilles, rattrapage, nez-à-nez…), les ralentir très fortement (40 voir 10 kilomètres par heure)… Ou investir beaucoup plus d’argent que ce qu’une politique d’investissements réguliers aurait nécessité. Ce qui aurait pu être entretenu ou réparé 5 ou 10 ans avant ne peut désormais plus qu’être changé, car trop endommagé pour resservir. Et cette injection massive d’argent ne peut de toute façon avoir d’effet immédiat dans l’amélioration du réseau : ce qui a mis du temps à se dégrader prendra du temps à être remis en état.

Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs multiplient les annonces sur des montants soi-disant faramineux d’investissement en faveur de l’entretien du réseau. Mais il ne permettent même pas le rattrapage du manque d’entretien sur tout le réseau. Ces investissements permettront, au mieux, de sécuriser les grands axes. En revanche, à moins de trouver d’autres sources de financements très rapidement, c’est l’ensemble du réseau dit secondaire qui est directement menacé. Le démantèlement des lignes sous-utilisées qui se poursuivait à un rythme très réduit depuis 1995 a d’ailleurs repris avec une vigueur renouvelée, au motif de dépenses présentées comme exorbitantes pour « garantir la sécurité de l’exploitation ». Avant, c’était l’exploitant qui décrétait une ligne comme « non rentable », désormais c’est le gestionnaire d’infrastructure qui la désigne comme dangereuse… Étrangement, ce sont bien les mêmes lignes qui sont visées. Une sorte de danse macabre organisée et planifiée par la SNCF et RFF. La première vide les train en imposant des horaires inadaptés sous n’importe quel prétexte (« ne rentre pas dans la trame de cadencement », « nombre de circulation quotidienne limité par le système de cantonnement », « pas de matériel disponible à cette heure », « nécessité d’avoir un blanc travaux »…) Le second prétend alors que l’entretien devient trop coûteux pour le nombre de trains qui circulent et passe avec le couteau de boucher. Ainsi, au motif qu’il faudrait dépenser 60 millions d’euros pour remettre en état la voie, il n’est plus possible d’aller de Verdun à Châlons-en-Champagne. Au prétexte fallacieux que personne ne veut payer 7 millions d’euros pour quelques traverses et bouts de rails relevant de l’entretien courant, on ferme entre Laqueuille et Ussel, rompant ainsi toutes les liaisons entre le Sud-Ouest et l’est du Massif Central. Et il se passe la même chose sur les lignes réservées aux marchandises, avec parfois une brutalité encore plus grande. Ainsi, du jour au lendemain RFF a fermé la ligne de Gex à Collonges-Fort-l’Écluse. Il faut dire que les années précédentes le budget d’entretien pour les lignes ouvertes uniquement aux trains de marchandises était déjà en chute libre. Cette année, il est…nul ! Dans moins de cinq ans, l’ensemble de ce réseau qui innerve le territoire et son industrie aura donc disparu. On voit donc la farce macabre qui se joue autour du discours sur les millions, montants soi-disant indispensables et exorbitants pour « sauver » les lignes a faible trafic. Mais ces montants, que représentent-ils par rapport aux milliards du « plan de relance autoroutier » défendu par le gouvernement ? Y a-t-il réellement moins de monde dans les autorails entre Laqueuille et Ussel que sur l’autoroute A89 qui a été construite à coup de dizaines de milliards d’euros pour concurrencer la voie ferrée ?

Autre technique relativement nouvelle, pour ruiner certains itinéraires et entraîner leur fermeture, des locomotives récentes sont soudainement interdites de circulation par RFF sur des lignes qu’elle fréquentaient, obligeant les exploitants à faire appel à d’autres matériels, plus anciens, moins puissants et au final beaucoup plus coûteux. Ainsi les BB 75000 ne peuvent plus être utilisées pour écouler les marchandises entre Neussargues et Saint-Chély-d’Apcher sous prétexte qu’elles sont trop agressives pour la voie. La SNCF va devoir utiliser en substitution d’une BB 75000, une unité multiple de BB 67400 quinquagénaires qu’elle souhaite radier. Elle en fera supporter le surcoût sur le chargeur… Qui justement s’interroge sur son intérêt économique de continuer d’utiliser le train. Comme en plus, il se murmure que le viaduc de Garabit nécessite de gros travaux d’entretien, le crime est parfait ! Par idéologie, les talibans ont détruit les bouddhas de Bamyan. Par idéologie aussi les dirigeants du système ferroviaire français sont en train de détruire non seulement le réseau ferroviaire dans son ensemble, mais aussi l’un des plus grands ouvrages d’art issu du génie humain !

Dans le même temps que le réseau se dégrade les gouvernements successifs se sont placés dans une logique de libéralisation du rail, avec une scission entre l’infrastructure et l’exploitation. Ainsi en 1997, la SNCF a été scindée en deux entités : à la SNCF la circulation des trains moyennant péages, et à RFF les voies ainsi que la dette. Cette organisation, en séparant l’infrastructure de l’exploitation devait permettre l’apparition de concurrents à la SNCF. Sauf que cette scission contenait des règles qui subordonnaient totalement RFF à la SNCF. Pour faire simple, RFF avait l’obligation de confier à la SNCF l’entretien des voies. On voit donc que la SNCF paye des péages à RFF pour emprunter ses voies et que RFF doit payer la SNCF pour qu’elle entretienne les voies. Bref, un système pervers en circuit fermé : Si RFF essaye d’augmenter ses péages pour essayer de réduire sa dette, la SNCF va tout tenter pour majorer les coûts d’entretien qu’elle facture à RFF. La machine infernale s’emballe, et tant les péages que le coût d’entretien des voies explose. En France, le coût de pose d’une voie ferrée du réseau ferré national atteint parfois cinq fois le coût facturé ailleurs (ceci toutes choses égales par ailleurs) Ces surcoûts faramineux conduisent à un gel des travaux par manque de moyens financiers. Par exemple, la sous-station électrique de Pont-de-Veyle a attendu plus d’un an d’être réparée. Pour tenir durant cette période, les conducteurs de trains ont été priés de limiter les appels de puissance dans le secteur. Avec à la clef évidemment des retards et des difficultés de circulation.

Prétendant sortir de cette situation, le gouvernement vient de faire voter par le parlement une nouvelle loi pour réorganiser le système ferroviaire français « selon le modèle allemand ». C’est à dire que RFF et la SNCF vont être regroupé comme filiales au sein d’une holding. Cette holding devant garantir l’indépendance de ses deux filiales. L’entretien des voies sera désormais de la compétence exclusive de RFF (qui devrait être rebaptisé SNCF réseau). En clair, les agents de la SNCF qui entretiennent les voies seront intégrés à RFF, ce qui évitera des refacturations invraisemblables. Mais il est d’ors et déjà certain que cette nouvelle organisation ne marchera pas correctement. Ceci pour deux raisons. La première est que contrairement à ce qui s’est passé en Allemagne lors de la constitution du holding Deutsch Bahn, il n’y aura aucun désendettement de l’ensemble nouvellement constitué. La dette restera donc un boulet accroché lourdement au système ferroviaire et qui empêchera les investissements indispensables. La seconde tient aux limites de propriété. En effet, si la logique avait été respectée, RFF aurait dû récupérer la gestion de la totalité des gares, y compris les guichets, ainsi que le site internet de vente de billets. Ceci afin de pouvoir mettre ces moyens de vente à disposition de tous les opérateurs. Or la SNCF (qui devrait être rebaptisée SNCF mobilités) va conserver la haute main sur la filiale Gares et Connexions qui gère ces espaces. On voit donc qu’un concurrent devra, s’il souhaite avoir une présence commerciale en gare, louer un espace pour mettre un guichet et/ou une borne de vente, et payer au moins une personne pour occuper le guichet. Dissuasif pour une société qui dans un premier temps ne desservira peut-être la gare qu’avec 2 ou 3 trains dans la journée. Ceci sans parler de l’absurdité de multiplier les bornes automatiques différentes dans des halls de gares déjà très encombrés.

Bref, l’horizon du système ferroviaire français est sombre. Il se murmure dans les milieux « bien informés » (comprendre : décisionnaires) qu’un tiers du réseau est déjà condamné sous dix ans. Menace réelle, ou coup de bluff pour arracher des financements supplémentaires ? Probablement un peu des deux. En attendant, si rien n’est fait, les liquidateurs vont s’occuper des rameaux les plus fragiles du réseau, au mépris des territoires traversés, de leur population et de leurs conditions de vie.

La solution à cette situation ne peut passer que par un désendettement global du système ferroviaire, et une injection massive de moyens dans l’infrastructure et sa remise à niveau. Il faut aussi une très forte compression de la bureaucratie ferroviaire, avec le remplacement de bureaucrates incompétents et couards ouvrant le parapluie à tout bout de champ par des ingénieurs connaissant leur domaine (Qui osera enfin reconnaître que l’instruction ministérielle dite « Bussereau » sur les passages à niveau doit être supprimée car elle prive des territoires entiers de desserte par les coûts délirants qu’elle induit, sans pour autant améliorer notablement la sécurité ?). Il faut aussi que les budgets de RFF, de la SNCF et ses filiales soient transparents, afin que chacun sache qui facture quoi et pourquoi faire. Il n’est pas normal que la SNCF monte une filiale pour exploiter des autocars – IDbus, pour ne pas la nommer – et que le déficit abyssal de cette filiale, qui aurait conduit toute entreprise normalement constituée à la faillite, soit épongé au travers de subventions de la maison mère qui proviennent pour partie, quoiqu’on en dise, des subventions versées en vue de l’exploitation du système ferroviaire. Il faut aussi que RFF ne puisse pas supprimer ou diminuer unilatéralement les moyens alloués à l’entretien courant d’une ligne pour l’amener volontairement à la ruine. Il faut enfin procéder à des purges massives au sein de la direction de la SNCF et de RFF, car les dirigeants actuels ont été recrutés pour détruire le système ferroviaire et non pour le relancer… Qui aura le courage de se lancer dans ces opérations ?