Ferro-Lyon

Métros, trams, trains, funiculaires lyonnais…

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Publié le 14-03-2015 à 17h16 (mis à jour le 12-05-2015 à 22h54.)

Le ministre de l’Économie, dans le cadre d’un énième plan de relance a eu une idée formidable : Et si on supprimait la coordination rail-route pour les liaisons interrégionales afin permettre le développement de lignes d’autocars ? Les prétextes pour habiller cette mesure sont multiples, avec notamment tous les trémolos possibles dans la voix, la nécessité de redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs pour lesquels le train est trop cher. Il faudrait lui rappeler, ainsi qu’aux dirigeants de la SNCF d’ailleurs, qu’il existe des tarifs sociaux permettant d’accéder aux trains à des prix largement plus abordables que le plein tarif. Mais actuellement pour en bénéficier, il faut passer par les guichets qui sont de plus en plus supprimés. Ceux restants étant surchargés et parfois très éloignés des lieux de vies des demandeurs. Il s’agit là d’une restriction d’accès aux tarifs sociaux qui ne dit pas son nom, mais qui est bien réelle. Rappelons aussi que le décret de coordination rail-route, base de la législation actuelle des transports en commun, a été promulgué le 19 avril 1934 afin de maîtriser la concurrence effrénée entre le chemin de fer et les autocaristes. Ces derniers venant écrémer le marché en cassant les prix, puisqu’ils ne supportaient, déjà à l’époque, pas les coûts d’infrastructure, contrairement au chemin de fer.

Or sur le fond, la situation n’a pas changée depuis cette époque, bien au contraire. En effet, le réseau routier a été considérablement amélioré avec la construction sur fonds publics d’autoroutes, de déviations, et autres rocades. Dans le même temps, les améliorations du réseau ferroviaire ont été parcimonieuses et depuis 30 ans, les voies jugées « non rentables » se dégradent jusqu’au point de non retour. L’ouverture à la concurrence va conduire à vider un peu plus les trains, mettant encore plus à mal l’équilibre économique du réseau. Une telle option ne peut être envisagée que pour faire passer la pilule du démantèlement massif du réseau ferroviaire qui est désormais amorcé.

Il est en effet frappant que soit pris en exemple de liaison utile par autocar Lyon-Bordeaux. N’est-ce pourtant pas cette liaison que le chemin de fer délaisse progressivement depuis des années au point que son maillon clef entre Laqueuille et Ussel a été fermé le 5 juillet dernier ? Remarquons d’ailleurs que face à des avions à bas coût proposant l’aller-retour à quasiment 50 €, les autocars auront du mal à êtres compétitifs sur cette liaison, sauf à fonctionner comme les trains en assurant du cabotage.

Dessin de Charb illustrant l'abandon des petites lignes. (Doc. : Le Rail)

Dessin de Charb en 1991 illustrant déjà l’abandon des lignes secondaires par la SNCF. (Doc. : Le Rail n°29, octobre 1991)

Il n’est pas anodin dans ce contexte de constater que la SNCF elle-même pousse à cette concurrence, puisqu’elle est le premier autocariste de France au travers de sa filiale Keolis. Elle a de plus constitué depuis deux ans à fonds perdus une filiale d’autocars à bas coût : IDbus. Ainsi, sur de nombreuses lignes, la SNCF a tout intérêt à développer sa propre concurrence : Ses filiales faisant circuler des cars à des tarifs plus faibles que les trains des lignes ferroviaires parallèles, elle capte à la fois les subventions d’équilibre des services ferroviaires dont les recettes déclinent et la clientèle qui se reporte sur les autocars. Il en est de même pour les marchandises, où là aussi la SNCF est dans le peloton de tête des transporteurs routiers français. Cette stratégie d’autoconcurrence se poursuit avec le développement de services de covoiturage IDvroum. Ainsi, par un glissement sémantique, là aussi lourd de sens, la SNCF n’est plus un opérateur ferroviaire, mais un « opérateur de mobilité ». Cette logique de développement pourrait être cohérente si l’ensemble des filiales avaient un fonctionnement interconnecté, comme le montre tous les jours en Allemagne la Deutche Bahn. Toutefois, la libéralisation des voyages en autocar en Allemagne ces dernières années est venue fragiliser le fonctionnement de certaines lignes ferroviaires peu fréquentées qui ont pourtant une qualité de desserte largement supérieure aux lignes secondaires françaises.

En France, clairement, le développement de l’autocar est promu par les pouvoirs publics afin d’éviter de payer la reconstruction nécessaire du réseau ferroviaire, suite à 30 ans de blocage des investissements d’entretien indispensables. Ainsi, l’autocar est paré de toutes les vertus. Certains vont même jusqu’à prétendre qu’il peut circuler en toute sécurité sur la neige. D’ailleurs, alors qu’il y a 30 ans les trains continuaient de circuler même lorsque les routes étaient impraticables à cause de l’accumulation de neige, la SNCF préfère désormais fermer ses lignes ferroviaires dès les premiers flocons et affréter des autocars… Pour des raisons de sécurité, paraît-il. Pour ce début d’année, deux incidents montrent l’inanité de cette politique : le 1er février 2015 deux autocars SNCF entre Montluçon et Ussel sont sortis de route en tentant de se croiser sur une route enneigée du Massif Central. Chose qui n’était pas arrivé aux trains entre Eygurande – Merlines et Montluçon, lorsque la ligne existait encore… avant décembre 2007. De même, un autocar Grenoble – Gap affrété par la SNCF a perdu deux roues dans la descente de La Freissinouse le lendemain 2 février. Rappelons aussi que les conditions de trajet n’ont rien à voir entre un train, fut-il – comme c’est généralement le cas en France – dans un état de saleté repoussant avec des toilettes sans papier, ni eau et savon, et un car. Dans le premier, on peut se déplacer à loisir à l’intérieur lorsqu’il roule, alors que dans le second les passagers ont l’obligation de rester sanglés sur leur siège durant tout le trajet. Bref, petit à petit on habitue les voyageurs à êtres trimbalés comme du bétail et dans des conditions de sécurité aléatoires.

En attendant, le réseau ferroviaire est donc en train d’être démantelé. Ainsi, le service annuel 2016 se profile avec une hécatombe à la clef. La fermeture de la ligne des Causses de Bédarieux à Saint-Chély-d’Apcher semble probable, avec pour corollaire la fermeture des lignes affluentes de Rodez à Sévérac-le-Château et du Monastier à Mende. La ligne de Cerdagne va probablement être amputé de sa section sur le plateau cerdan entre Font-Romeu – Odeillo – Via et Latour-de-Carol – Enveigt. Entre Busseau-sur-Creuse et Felletin, le dernier train quotidien va probablement passer de vie à trépas. De même, plus proche de Lyon dans la future région Aura – comme disent les technocrates top branchouille ayant abusé de substances illicites – il n’est point besoin d’être devin pour deviner que la saigné est à venir. Ainsi entre Montbrison et Thiers, de même qu’entre Volvic et le Mont-Dore, l’avenir ne se conjugue au mieux qu’au conditionnel et plus probablement au passé antérieur. Pourtant, il est peu crédible que ce soit sur la substitution de ces lignes que les sociétés de transport routier proposent spontanément leurs services, car économiquement il y a peu d’espoirs de recettes. La concurrence aura donc lieu sur les relations les plus fréquentées et viendra mettre à mal leur équilibre économique, ce qui les propulsera dans la catégorie des lignes en difficulté, où les recettes ne couvrent pas les coûts d’entretien. L’entretien sera alors réalisé à l’économie et au final, dans 10, 20, 50 ans, ces lignes actuellement importantes seront elles-mêmes condamnées. Rappelons tout de même qu’un train composé de deux rames TGV duplex rempli complètement représente l’équivalent de 20 cars. Remplacer complètement la desserte TGV entre Paris et Lyon représenterait quotidiennement de l’ordre de 300 trajets d’autocars dans chaque sens, mais l’équilibre économique de la relation serait probablement rompu avec simplement 50 dessertes quotidiennes par autocar en concurrence…

Édition du 12 mai 2015 : Ajout d’un dessin de Charb.