Ferro-Lyon

Métros, trams, trains, funiculaires lyonnais…

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État de droite

Publié le 28-04-2016 à 18h49

« Art. L. 2241-11. – Les entreprises de transports routiers, ferroviaires ou guidés peuvent subordonner le voyage de leurs passagers à la détention d’un titre de transport nominatif. Dans ce cadre, le passager est tenu, lorsque l’entreprise de transport le lui demande, de présenter un document attestant son identité afin que soit vérifiée la concordance entre celle-ci et l’identité mentionnée sur son titre de transport. » Ce texte, comme les citations à venir est issu des modifications du code des transports contenu dans la Loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs qui a été promulguée le 22 mars 2016. Le contenu de cette loi est impressionnant par la régression des droits des passagers et l’atteinte aux libertés publiques qu’il impose. On constate qu’il ratisse particulièrement large puisqu’il va des incivilités jusqu’au terrorisme. Un grand écart avec risque de claquage ! Ce premier extrait est le rêve absolu des transporteurs et des policiers. Dorénavant, les tickets pourront être systématiquement nominatifs. Il ne s’agit pas ici de lutter contre le terrorisme ou d’améliorer la sécurité dans les transports, il s’agit d’une part d’instaurer une obligation de fait de détenir une pièce d’identité (que la pièce en question soit authentique ou pas est un autre débat) lors de ses déplacements en transports en communs, mais aussi et surtout d’empêcher la revente des tickets inutilisés. Fini la revente ou l’échange sur internet des tickets en promo que l’on a acheté 3 mois à l’avance et que l’on ne peut finalement pas utiliser… On comprends le manque à gagner pour les pauvres entreprises de transport car ces pratiques empêchent de vendre comme avant des plus de places qu’elles n’ont dans leur véhicule. Les pressions d’une (de moins en moins) grande entreprise ferroviaire nationale ne sont certainement pas étrangères à cet article. Ceci dit, la politique de cette entreprise étant de vider les trains, on peut dire que sa démarche est cohérente : Pourquoi un client s’embêterait-il à acheter plusieurs mois avant son déplacement un billet à un tarif un peu plus abordable, s’il sait que chez les autocaristes concurrents il peut avoir moins cher et éventuellement cessible sur internet une place sur le même trajet ? Il y a aussi un petit détail, au niveau des libertés publiques : à quel titre un agent d’une société de transport qui n’a pas la qualification d’officier de police judiciaire pourra exiger d’un passager la présentation d’une pièce d’identité, alors qu’il n’a pas le droit de l’exiger ? Le contentieux judiciaire sur ce point va être intéressant à suivre, car subordonner la prestation d’un service à une opération illégale est illégal…

« Art. L. 2241-5. –[…] Les agents mentionnés au premier alinéa du présent code peuvent appréhender, en vue de leur confiscation par le tribunal, les marchandises de toute nature offertes, mises en vente ou exposées en vue de la vente dans les véhicules et emprises immobilières des transports publics de voyageurs sans l’autorisation administrative nécessaire. Ils peuvent également saisir dans les mêmes conditions les étals supportant ces marchandises. Les marchandises saisies sont détruites lorsqu’il s’agit de denrées impropres à la consommation. Elles sont remises à des organisations caritatives ou humanitaires d’intérêt général lorsqu’il s’agit de denrées périssables.[…] » Cet article vise clairement les vendeurs à la sauvette dans le métro ou le RER. En quoi leur présence a un lien avec les incivilités, la sécurité publique ou le terrorisme ? On ne voit pas. Par contre, les spolier des marchandises qu’ils vendent, cela s’appelle du vol et les soit-disant « organisations caritatives ou humanitaires » qui accepteront ces marchandises ne seront rien de moins que des receleurs. En gros, il s’agit ici de voler aux mauvais pauvres (ceux qui se voient et essayent de s’en sortir par eux-même) pour donner aux bons pauvres (ceux qu’on parque dans des « espaces d’hébergement » pour qu’ils crèvent loin des yeux du public). Par contre les distributeurs automatiques de malbouffe sont eux les bienvenus sur les quais, alors que leur contenu est un poison à long terme qui fait largement plus de morts qu’un serial killer dont on parle en ouverture du journal télévisé.

« Art. L. 2241-2-1. – Pour fiabiliser les données relatives à l’identité et à l’adresse du contrevenant recueillies lors de la constatation des contraventions mentionnées à l’article 529-3 du code de procédure pénale, les agents de l’exploitant du service de transport chargés du recouvrement des sommes dues au titre de la transaction mentionnée à l’article 529-4 du même code peuvent obtenir communication auprès des administrations publiques et des organismes de sécurité sociale, sans que le secret professionnel puisse leur être opposé, des renseignements, strictement limités aux nom, prénoms, date et lieu de naissance des contrevenants, ainsi qu’à l’adresse de leur domicile. Ils sont tenus au secret professionnel.[…] » Ainsi, pour régler une question de recouvrement des contraventions impayées, les fichiers contenant les données les plus confidentielles des administrations publiques vont être ouverts aux quatre vents. Car ne nous voilons pas la face, plus le nombre de personnes pouvant consulter un fichier est important, plus la probabilité de voir son contenu diffusé à grande échelle est élevée. Il est extrêmement inquiétant que l’accès à des bases de donnée de l’administration listant l’ensemble des habitants du pays soit ouvert à ce point. Ceci d’autant que certaines personnes et organisations mal intentionnées seraient prêtes à payer des millions d’euros pour en avoir une copie, même partielle.

« Art. L. 2242-10. – Le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, tout message de nature à signaler la présence de contrôleurs ou d’agents de sécurité employés ou missionnés par un exploitant de transport public de voyageurs est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende. » Là, il faut reconnaître que le délire des parlementaires est total. En gros, il sera désormais largement moins risqué de frauder (quelques dizaines d’euros) que de signaler la présence de contrôleurs. Donc plus personne n’a le droit de dire que les contrôleurs sont plus que très souvent présents sur la mezzanine entre les lignes A et D à la station Bellcour, ou au chaud à l’entrée du métro B Part-Dieu côté centre commercial (Ah, zut, on me signale que j’ai dit des choses qu’il fallait pas). On peut d’ailleurs légitimement se demander si les peines prévues sont proportionnées à l’infraction. On peut ne pas être d’accord avec les personnes qui signalent la présence de contrôleurs, sans non plus cautionner une répression brutale et aveugle. Finalement, c’est bien une loi sur le terrorisme, mais le terrorisme de l’État. Le but étant là de mettre face à une petite infraction une peine démesurée. Tant qu’à faire, il est dommage que le législateur n’ait pas été au bout de la démarche en récompensant la dénonciation des fraudeurs (par exemple un rabais de 10 % sur l’abonnement pour toute dénonciation). Ça aurait pourtant eu de la gueule de la part d’un gouvernement national socialiste…

Un dessin de Martin Vidberg résumant parfaitement l’absurdité d’une politique sécuritaire basée sur des discours démagogiques et simplistes. On peut d’ailleurs remarquer que la SNCF abandonne les essais des (très chers) portiques de sécurité de la gare du Nord tant ils sont inefficaces et pénalisants pour l’exploitation.

Il ne s’agit là que de quelques dispositions de ce texte qui en comporte d’autres, comme la fouille des bagages par les milices privées de la SNCF ou de la RATP et surtout, ces mesures sont à replacer dans un contexte d’approbation d’autres lois, comme par exemple celle qui va autoriser les policiers et gendarmes à tirer en dehors du stricte cadre de la légitime défense. Prenons les paris : d’ici combien de temps un vendeur à la sauvette ou un gamin escaladant un portillon de métro sera abattu par un policier qui se sera « senti menacé » ? Et ne parlons même pas de l’armement des miliciens des entreprises de transport…

Tout cet arsenal est déployé alors que les dirigeants d’une grande entreprise ferroviaire nationale, qui ont une de ces milices à leur main, font ouvertement entrave à la justice en maquillant les preuves de leurs responsabilités dans l’accident de Brétigny-sur-Orge, le 12 juillet 2013. Des fiches de maintenance ont été falsifiées, un service « juridique » est chargé d’expliquer aux agents ce qu’ils doivent dire ou pas aux juges, quitte à travestir la réalité. Les sept personnes tuées et les soixante-dix blessés pèsent bien peu pour ces gens-là. Dans un grand pays démocratique, le président et le directeur d’une entreprise publique se comportant de cette façon auraient déjà été démis de leurs fonctions. Dans un pays moins démocratique, ils seraient déjà en prison ou fusillés pour l’exemple. En France, ils sont toujours en place, voir même promus. Comment avoir confiance, pour assurer la sécurité des passagers, dans une milice gérée par ce genre d’individus dont les agissements se révèlent chaque jour plus proches de ceux des petites frappes mafieuses ?