Publié le 10-12-2017 à 18h46
L’année 2017 a été marquée par la disparition de deux revues majeures du paysage ferroviaire français. En mai-juin c’est la revue Voies Ferrées qui a cessé de paraître puis en novembre-décembre cela a été le tour d’Objectif Rail. Ces deux disparitions s’inscrivent dans un contexte morose, tant sur le plan de la presse écrite en général que des chemins de fer en France.
De tout temps, des titres de presse sont apparus puis ont disparu, plus ou moins rapidement. Le domaine ferroviaire n’échappe pas à cette règle. Toutefois, il est facile de constater que le dynamisme de la presse ferroviaire est lié à celui du réseau ferré. Avant les années 1970, En dehors de l’hebdomadaire cheminot La Vie du Rail, de la très technique et coûteuse Revue générale des chemins de fer et des publications quasi-confidentielles de l’AFAC et de la FACS, point de salut. Les années 1970-80 particulièrement dynamiques du côté des technologies des chemins de fer avec l’arrivée du TGV et la modernisation rapide de la traction créent un intérêt certain. Ainsi, ces années voient l’apparition de nombreuses revues comme Connaissance du Rail, Le Rail, Voies Ferrées, L’Indépendant du Rail, L’Écho du Rail… En outre, au même moment l’édition ferroviaire prend son essor. Des livres aussi bien techniques qu’historiques commencent à êtres publiés par La Vie du Rail et des éditeurs indépendants comme les Éditions du Cabri, Presses et Éditions Ferroviaires ou encore La Régordane.
Première page du dernier numéro, le 221 (mai-juin 2017), de la revue Voies Ferrées.
Par un effet d’inertie classique en économie, la dynamique éditoriale se poursuit jusqu’au début des années 2000. Mais, à ce moment, la réalité ferroviaire est déjà au déclin rapide. Le trafic marchandises plonge, l’entretien courant du réseau ferroviaire français est réduit à peau de chagrin et le TGV ne masque plus la volonté de liquidation d’une grande partie des voies ferrées secondaires. Les premiers signes d’une consolidation de la presse ferroviaire apparaissent. Le groupe La Vie du Rail lance un mensuel, Rail Passion, avec pour objectif, par son positionnement et son tarif, de siphonner une partie du lectorat de la revue Voies Ferrées. Peu après, cette dernière revue connaît un schisme qui aboutit à la naissance d’Objectif Rail. Le groupe Loco Revue, alors spécialisé dans le modélisme ferroviaire tente lui aussi de grossir en multipliant les revues dont une sur le chemin de fer réel, Correspondances qui deviendra ensuite Ferrovissime. Ces deux groupes développent aussi leurs activités périphériques. La Vie du Rail produit à la chaîne des ouvrages ferroviaires dont le contenu éditorial cède de plus en plus à la facilité : c’est la multiplication des albums photo alimentés à peu de frais pas son gigantesque fond photographique historique. Loco Revue multiplie les hors séries et surtout se lance dans la vente par correspondance de produits de modélisme tout en éditant quelques livres. Enfin, un autre éditeur de revues de modélisme ferroviaire, le Train développe une politique massive d’édition de hors séries sur les trains réels.
Cette situation où les acteurs les plus gros du marché occupent tout l’espace en saturant les rayons des marchands de la presse et des libraires prive de visibilité les autres entreprises. Les autres acteurs du marché sont donc petit à petit phagocytés par ces stratégies. Si ceux-ci réussissent à survivre un moment, c’est essentiellement grâce au dévouement de leur dirigeant qui est aussi souvent leur fondateur. Toutefois, leur fragilité laisse peu d’espoir à une reprise lorsque le patron fait valoir ses droits à la retraite ou décide simplement d’arrêter avant que les pertes ne l’entraînent dans le gouffre. Ainsi, depuis 2012 c’est une vraie purge qui s’est abattue sur toute l’édition ferroviaire.
Les éditions la Régordane ont arrêté en 2012 leur production (mais bradent toujours en 2017 leurs excellents livres et DVDs sur leur site internet). La même année, la revue Connaissance du Rail a aussi cessé définitivement de paraître et sa société éditrice a été liquidée. En 2014, la Vie du Rail publie pour la première fois un calendrier ferroviaire. Cette opération met à terre l’année suivante l’Amicale du rail et des transports, petite structure qui était alors la seule à produire un calendrier (notons au passage que l’absence de concurrence sur ce créneau du fait de la faiblesse du marché, n’incite pas depuis deux-trois ans l’éditeur à soigner la qualité de son produit). Puis en 2016 la revue Le Rail, la seule à faire systématiquement des articles sur des sujets techniques et économiques sortant de l’étroit cadre hexagonal, a elle aussi cessé de paraître. Ceci alors que dans le même temps les Éditions du Cabri ont mis en sommeil l’édition de livres pour se concentrer sur la production de DVDs l’édition de la revue L’Écho du Rail et la vente par correspondance. Il faut dire que le groupe La Vie du Rail a lancé à ce moment une opération commerciale très agressive puisque les abonnés à une de ses revues bénéficient depuis lors de 30% de réduction sur les livres de plus de deux ans édités par le groupe… Ou comment tuer un marché : Pourquoi acheter aujourd’hui ce qui sera 30% moins cher dans deux ans ? Une telle stratégie va certes d’abord liquider les concurrents en réorientant les achats vers les stocks du groupe, mais elle va couler complètement la vente des nouveautés du même groupe. Or quel industriel peut raisonnablement supporter une telle stratégie sur le long terme ? Cela n’annonce-t’il pas, à court terme, la fin de l’édition de livres par La Vie du Rail ?
Dans le même temps, les revues associatives comme Chemin de Fer, Chemins de fer régionaux et tramways ou Voie Étroite désertent le circuit de distribution des marchands de journaux pour se recentrer sur une diffusion exclusivement par abonnement car les coûts de diffusions imposés par Prestalis deviennent insupportables.
En cette année 2017, le patron de Presses et Éditions Ferroviaires a décidé d’arrêter la diffusion de la revue Voies Ferrées à cause d’ennuis de santé. Cette décision inéluctable face à l’absence de repreneur devrait aussi conduire à terme à la disparition de la société d’éditions dont la qualité des livres est unanimement reconnue. Celle-ci devrait toutefois éditer début 2018 un ouvrage sur l’histoire de la ligne du Fréjus. Enfin, le rédacteur en chef de la revue Objectif Rail a fait valoir ses droits à la retraite. Comme il portait cette revue à bout de bras, son départ a automatiquement conduit à l’arrêt de la revue. La disparition de ces deux revues de très grande qualité crée un manque évident qu’aucune autre revue existante ne peut combler et vient un peu plus effacer la présence du chemin de fer chez les marchands de journaux.
Première page du dernier numéro, le 84 (novembre-décembre 2017), de la revue Objectif Rail.
Bien sûr, certains accuseront ces revues d’avoir eu une attitude nostalgique étroite et un traitement de l’actualité minimaliste, mais la réalité du marché fait que les acheteurs solvables connaissaient largement mieux les X2800 ou les CC6500 que les Regio2N. On équilibre malheureusement pas les comptes de revues chères en faisant rêver des jeunes désargentés feuilletant la revue chez le marchand de journaux, mais bien en la vendant à des personnes ayant les moyens de la payer. Cette réalité financière incontournable peut y compris conduire à une impasse car elle mène à un choix éditorial qui écarte les nouveaux lecteurs. Ainsi, en sauvant la revue à court terme l’éditeur la condamne à long terme par le manque de renouvellement du lectorat… Cruel dilemme.
Sans être devin, il est probable que d’autres revues disparaîtront prochainement, car le déclin de la presse papier face à internet est palpable. Certains spécialistes disent que les gens ne veulent plus payer pour avoir l’information, ou que le papier ne permet pas l’immédiateté pour l’actualité. Certes. Toutefois, les informations disponibles sur internet sont souvent parcellaires et éclatées (voir le cas des associations de préservation du matériel roulant qui ont un site internet mais ne le tiennent pas à jour, même pour indiquer qu’un de leurs trains est complet ou supprimé, réservant ces annonces à un compte Facebook™) De plus, le recul de maintenant plus de vingt ans sur le fonctionnement des technologies de l’information montre que le format numérique est un obstacle clair à l’approfondissement. Qui écrira une étude technique complète équivalente à une quinzaine de pages de texte sur les Régiolis et les Coradia Liner ? Quel site acceptera d’héberger cet article long ? Qui peut croire que de tels articles s’ils sont un jour produits, seront consultables gratuitement et pillables par des site type Wikipédia ?
Si on regarde les évolutions de la presse généraliste par rapport à internet, il est possible d’envisager l’avenir. Il est clair que la phase où une bonne partie du contenu était mis à disposition gratuitement se termine. Il apparaît aussi que des revues papier ayant un positionnement haut voir très haut de gamme réussissent à se maintenir ou à se développer. Il est donc très probable qu’on assiste à une sorte de segmentation du marché avec d’un côté des journaux d’actualité en ligne à faible prix, comportant une information brute ou peu travaillée et de l’autre des magazines sur papiers qui approfondissent les sujets avec des illustrations et qui seront chers et à diffusion forcément limitée. En matière ferroviaire il est donc probable de voir apparaître à terme des sites spécialisés agrégateurs d’actualités (un peu comme le fait déjà gratuitement Espacetrain… Mais ce dernier site est inaccessible à une bonne partie des abonnés SFR par sa politique de blocage « anti-pirates »). Remarquons au passage que dans ce contexte mouvant, les associations de préservation auraient tout intérêt, pour maximiser la visibilité de leurs actions, à unir leurs forces et à mettre en commun l’ensemble des informations sur leurs activités dans une base de données partagée (sous l’égide de l’UNECTO ?). Quoi de plus agaçant en effet de devoir faire le tour de dix ou quinze sites et d’autant de pages Facebook™ pour savoir quels trains spéciaux ou touristiques circulent (et à quelles dates) dans une région. Le passionné le fera. Le touriste moyen, non. Or c’est bien ce dernier qui fait vivre toutes les associations ferroviaires. Du côté des revues papier, il est possible de rêver un jour d’une revue haut de gamme, probablement trimestrielle avec des articles denses et de nombreuses illustrations. Pour arriver à la faire vivre, il n’y aura pas de miracle. Les rédacteurs et photographes devront être rémunérés et son tarif pourra très probablement atteindre 30€ par numéro.
Mais la vraie relance de la presse ferroviaire ne pourra venir que du dynamisme retrouvé du réseau de chemin de fer. Compte-tenu de la situation, ce n’est pas gagné, ni pour demain…