Publié le 13-08-2018 à 15h10
Depuis maintenant quasiment trois ans, à la suite de la COP 21, les gouvernements qui se sont succédés, glosent sur la nécessaire préservation de l’environnement. Tant que les questions restent très générales, c’est le discours officiel. Le problème c’est que lorsqu’il s’agit de mettre en application concrètement les principes énoncés, étrangement, les mesures prises entraînent des conséquences opposées auxdits principes.
Ainsi, il conviendrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Louable intention dont la déclinaison pratique est aisée à comprendre, même pour un enfant : Pour limiter les émissions de CO2, il faut réduire les activités en émettant. Ces activités sont principalement le transport des biens et des personnes, le logement et l’agriculture. Laissons de côté le logement et l’agriculture pour nous intéresser aux transports.
Dans ce domaine, la politique menée sur le terrain est à l’exact opposé des grands principes énoncés. Ces grands principes nécessiteraient une politique volontariste de réduction des besoins en déplacement tant pour les hommes que les marchandises. Cette même politique devrait orienter les usages vers les moyens de transport les moins émetteurs en polluants. Ce qui peut se décliner de deux manières qui peuvent se combiner : par la contrainte avec des interdictions d’usage des moyens de transport les plus polluants, ou par la taxation des déplacements des véhicules en fonction de leurs rejets rapportés à chaque personne ou chaque tonne de marchandises transportée. Il faut bien sûr dans le même temps arrêter les subventions directes et indirectes aux techniques de transport les plus polluantes.
Or ce n’est absolument pas cela qui se passe. Alors que le rail ou la voie d’eau sont les moyens de transport mécanisés émettant le moins de polluants, ceux-ci sont voués par les gouvernements successifs à l’abandon et au déclin. Ceci alors que dans le même temps les investissements routiers et les subventions directes et indirectes aux transports routiers se poursuivent largement. Sans revenir sur l’abandon scandaleux de « l’écotaxe » sur le transport de marchandises, il suffit de voir à quel rythme s’enchaînent les « plans de relance » autoroutiers. Très régulièrement, un nouveau plan engageant des milliards d’euro de subventions publique est signé entre les sociétés concessionnaires des autoroutes. Ainsi, on finance à des sociétés dégageant des marges financières totalement indécentes sur les péages prélevés auprès des automobilistes, des ajouts de voies de circulation, de nouveaux échangeurs, des équipements facilitant l’écoulement de la circulation. Bref, toutes sortes d’équipements qui viendront accroître la circulation sur leur réseau. Ce qui aura pour conséquence à la fois d’augmenter encore les péages perçus par ces sociétés, mais surtout d’accroître la pollution générée par la circulation routière.
Dans le même temps, l’État assume de plus en plus directement l’abandon des réseaux de voies navigables et ferroviaires. Ainsi, concernant les voies navigables, tout le réseau à gabarit Freycinet (petit gabarit), qui constitue l’essentiel du kilométrage des voies navigables existantes, est considéré comme n’ayant aucun avenir pour le transport de marchandises et seule la plaisance y est considérée comme viable, et encore, uniquement sur les tronçons les plus fréquentés. Ainsi, certains canaux ne sont désormais ouverts à la navigation que l’été, empêchant de fait le développement ou la relance de flux de marchandises. Toutefois, à la différence des voies ferrées, les canaux ne peuvent pas être totalement abandonnées sans précautions : les biefs et tous les ouvrages de régulation jouent des rôles importants dans la gestion hydraulique que ce soit pour le soutien d’étiage ou le lissage des crues. Ainsi, VNF doit continuer à entretenir, même à minima, un réseau de canaux qui ne voit plus passer de péniches depuis parfois des années.
Sur les voies ferrées, la situation est beaucoup plus simple et face aux besoins de renouvellement, l’État assume la rétractation à venir du réseau. Sont visées au premier chef les lignes classées UIC 7 à 9 pour lesquelles le discours est bien rôdé : Ces lignes constituent 32 % des voies ferrées françaises, sur lesquelles il circule 9 % des trains qui transportent 2 % des voyageurs. En Auvergne-Rhône-Alpes, ces lignes représentent 1 336 kilomètres. La région de place ainsi en termes de kilométrage de ce type de lignes derrière la Nouvelle Aquitaine et l’Occitanie. Point intéressant, en Auvergne-Rhône-Alpes, ces lignes sont nettement plus fréquentées que la moyenne nationale puisque ce sont 10 % des voyageurs de la région qui les empruntent. Mais ces lignes comptent 500 kilomètres de voies « hors d’âge » (comprendre vétustes et à remplacer à très court terme) ainsi que de nombreux ouvrages d’art souvent mal entretenus ces dernières décennies. Ainsi, pour ces seules lignes, SNCF Réseau et son Monsieur Plus chiffrent les besoins financiers de 296 millions d’euros entre 2015 et 2020 puis 490 millions d’euros entre 2020 et 2025. Or en 2017 les financements contenus dans le contrat de projet État-région Auvergne-Rhône-Alpes révisé ne couvraient que 264 millions d’euros… Et depuis l’État a affirmé depuis ne pas vouloir honorer l’ensemble de ses engagements au titre des contrats de projets. Ainsi, pour construire son scénario de désengagement sur la région, l’État va flécher ses investissements sur les lignes les plus fréquentées, celles ayant un enjeu d’aménagement du territoire et, surtout, celles où il n’existe pas d’offre alternative routière de qualité. En clair, seront financées les lignes périurbaines déjà fréquentées (tram-train de l’Ouest Lyonnais, Lyon-Roanne, Lyon-Bourg-en-Bresse, dessertes périurbaines de Grenoble, Saint-Étienne et Clermont-Ferrand.) Pour les autres, que ce soit de Livron à Aspres-sur-Buëch, de Saint-Étienne au Puy-en-Velay, de Clermont-Ferrand à Langogne (Nîmes) ou encore de Clermont-Ferrand à Montluçon, les financements semblent pouvoir être acquis au titre de l’aménagement du territoire et de la fréquentation (plus de 500 voyageurs par jour en moyenne, pour les deux premières et plus de 250 pour les deux autres). En revanche, toutes les autres peuvent êtres condamnées par une fréquentation insuffisante mais surtout par la proximité alléguée du réseau routier structurant (autoroutes ou routes nationales, voire routes départementales à fort trafic). Ainsi, toutes les étoiles d’Aurillac (vers Brive-la-Gaillarde, Figeac et Neussargues), de Neussargues (vers Aurillac, Arvant et Béziers), les lignes du Puy-en-Velay à Saint-Georges-d’Aurac (Clermont-Ferrand), de Vif à Aspres-sur-Buëch (Veynes) peuvent se retrouver directement menacées à très court terme sans un portage fort du conseil régional… Qui n’est pas sensible pour l’instant.
Toutefois, même sur les autres lignes classées UIC 1 à 6, l’État n’a aucune volonté de promouvoir le chemin de fer, y compris lorsqu’il est l’autorité organisatrice des liaisons en question. Ainsi, sur les quelques lignes dites « Intercités » dont l’État garde la responsabilité comme la liaison entre Paris et Clermont-Ferrand, aucune étude prospective sur l’adéquation de la desserte par rapport aux besoins n’est menée. Le nombre de passagers actuellement décompté par la SNCF selon des méthodes discutables (qu’est-ce qui est compté exactement ? L’ensemble des billets vendus depuis tous les points de vente existants sur le territoire national et internet, le nombre de passagers dans les trains, ou bien les seuls billets vendus dans les gares de la ligne?) constitue l’alpha et l’oméga des prévisions de trafic. Le parc de matériel comme le nombre de dessertes quotidiennes sont ainsi dimensionnés sur cette base. C’est le cas en particulier entre Paris et Clermont-Ferrand, où pourtant en 2015 le rapport produit par le député Philippe Duron préconisait, pour faire face à la demande, une desserte à 12 trains par jour contre 8 actuellement. Or n’importe quelle entreprise du secteur des transports normalement constituée base ses investissements sur des études prospectives de marché. Ces études sont d’autant plus nécessaires qu’une erreur d’estimation dans les besoins peut finalement coûter très cher. Par exemple en obligeant à lancer au bout de quelques années un marché pour acheter quelques rames de matériel roulant supplémentaire pour assurer la desserte. Le constructeur facturera alors ce parc réduit au prix fort et ses spécificités probables maintiendront ses coûts d’entretien à des niveaux élevés. Mais en fait l’État a déjà choisi : quels que puissent être les besoins, l’offre n’augmentera pas car il n’est pas question d’augmenter le parc de matériel roulant disponible, ni même d’optimiser les roulements du parc existant. La logique financière est à sens unique : si les besoins diminuent, l’offre ferroviaire sera sabrée au nom des économies nécessaires. Si les besoins augmentent, les voyageurs en surnombre seront invités à se reporter sur d’autres modes : cars Macron, autopartage, voiture individuelle, voir avion pour les plus aisés.
Finalement, la préservation de l’environnement ne sert qu’à amuser la galerie en n’étant utilisé en combinaison avec des prétextes d’économies budgétaires que comme argument à sens unique : pour faire admettre l’étiolement des services publics. Si un équipement est trop sollicité par les usagers, on n’augmente pas sa capacité au nom du coût prétendument insupportable pour la collectivité. Ou bien cette augmentation de capacité est confiée à une entreprise privée qui récupérera sa mise, et très largement au-delà, en extorquant aux usagers des frais d’utilisation exorbitants. Si un équipement est au contraire délaissé, il est impitoyablement supprimé au nom des économies nécessaires. Peu importe dans ce cas qu’un investissement même modeste puisse lui redonner un attrait et un usage social fort. Et cette pratique s’applique tant dans le domaine des transports que dans tous les autres. Autant dire que face à cette logique purement économique, souvent habillée d’arguments fallacieux, la préservation de l’environnement n’est vraiment pas la priorité prétendument affichée et n’a pas fini d’être marginalisée et les infrastructures ferroviaires n’ont pas fini d’être démantelées.