Publié le 13-04-2019 à 22h08
Depuis de nombreuses années, de prétendus experts nous prédisent l’arrivée, sinon imminente, au moins prochaine, de véhicules non polluants, dits « propres ». Or encore une fois, on nous fait prendre des vessies pour des lanternes, puisque les seuls véhicules réellement « propres » sont des véhicules n’utilisant pas de motorisation. Ces véhicules, que ce soit des carrioles, des chariots, des diligences, des charrettes ou des chaises à porteur, ont été abandonnées il y a des décennies. Il ne reste désormais plus guère que le vélo et les trottinettes… mais tout cela se transforme à la vitesse grand V en véhicule à moteur.
Rappelons tout d’abord un principe de base : un véhicule à moteur, quel que puisse être son mode de propulsion, est polluant. Tout d’abord, sa construction rejette massivement des composés toxiques et du dioxyde de carbone. En effet, il faut bien produire l’acier, l’aluminium, les plastiques, les peintures, les colles, les mousses, les circuits électriques et électroniques… nécessaires à cette construction. Tous ces produits sont fabriqués au travers de processus chimiques dans des usines extrêmement polluantes à partir de minerais divers et variés extraits du sol dans des conditions parfois douteuses sur le plan environnemental. Une fois le véhicule construit, il est transporté vers son lieu de vente. Là encore, ce sont des véhicules à moteur qui le transportent générant aussi une pollution notable. Ensuite, tout au long de la vie du véhicule, il pollue, soit pas sa consommation directe de carburant, soit par ses besoins d’entretien (changement de pièces, réparations, lubrification…) Enfin, sa démolition est elle aussi une source de rejets polluants nombreux.
Le véhicule « propre » qui nous est promis n’est pas moins polluant que les véhicules à essence ou diesel que nous connaissons depuis plusieurs décennies. Et ceci probablement à aucune étape de sa vie. Toute l’astuce marketing consiste à déplacer la partie la plus voyante de la pollution et à la remplacer par autre chose moins visible. Cette partie très voyante, c’est celle que rejette le véhicule lorsqu’il circule. Sur les véhicules essence ou diesel, ce sont les rejets biens connus de dioxydes de carbone, d’azote, de soufre, de particules… qui sortent directement du pot d’échappement. Ainsi, les concepteurs des véhicules « propres » s’attaquent à ces rejets pour qu’ils aient lieu ailleurs ou sous d’autres formes. Les véhicules électriques ou à hydrogène sont les plus emblématiques de cette stratégie de déplacement de la pollution.
Considérons les véhicules électriques. Tout d’abord, pour fonctionner ils ont besoin de batteries pour stocker l’énergie. Si le principe des batteries est connu depuis le XIXe siècle, la problématique majeure est la quantité d’énergie qu’elles sont capable de stocker par rapport à leurs poids et encombrement. Au cours des vingts dernières années, des progrès très importants ont été réalisés, mais par l’usage de matériaux rares dont l’exploitation est loin d’être sans conséquence sur l’environnement comme le lithium. Comme la capacité des batteries est limitées, l’allègement des véhicules est une priorité pour augmenter leur autonomie. Or cet allègement est lui aussi obtenu par l’emploi de matériaux (résines diverses notamment) dont la production est encore plus polluante que celle des matériaux traditionnels comme l’acier. Ensuite, au cours de sa vie, la voiture électrique va devoir être rechargée pour pouvoir circuler. Or la production d’électricité est une activité extrêmement polluante. En France, en 2016, 89 % de l’électricité est produite à partir de l’énergie nucléaire dont le combustible et les déchets constituent des menaces de plus en plus importantes pour la sécurité de l’ensemble de la population par leur radioactivité et leur toxicité chimique. Enfin, la démolition de ces véhicules, et en particulier le recyclage de leur batteries est encore pour le moins incertain, avec là aussi des questions de rejets polluants qui risquent de ne pas être neutres. Ceci sans oublier que dans certains cas, ces véhicules sont « jetables » : les batteries sont tellement intégrées au véhicule que lorsqu’elles ne fonctionnent plus, elles ne peuvent être remplacées.
Si l’on parle des véhicules à hydrogène, il s’agit ni plus ni moins que du déplacement de la source d’émission de pollution. Là aussi on retrouve des questions d’autonomie et de capacité énergétique. Pour qu’un véhicule ait une autonomie suffisante, il faut envisager d’équiper les véhicules de réservoirs stockant sous une pression de 700 bars… Le moindre défaut métallurgique sur le réservoir et c’est l’explosion assurée. En outre, ce gaz très léger est très difficile à confiner. Aussi, même le réservoir le plus étanche a une tendance naturelle à se vider lentement. Et ne parlons même pas dans ces conditions des questions de sécurité qu’engendreraient la création de dépôts de stockage et de distribution de ce carburant avec des périmètres de danger de mort se chiffrant sinon en kilomètres, au moins en centaines de mètres. Indépendamment de ces problématiques de sécurité de stockage, il ne faut pas oublier comment est fabriqué ce gaz. La méthode la plus connue, mais pas la plus utilisée à cause de son faible rendement, est par électrolyse de l’eau. Cette réaction nécessite beaucoup d’électricité. Elle a les mêmes problématiques que pour la voiture électrique, mais avec un rendement encore moins bon. La seconde méthode est par reformage des hydrocarbures. Cette méthode, d’un rendement énergétique un peu meilleur, provoque des rejets en quantité de dioxyde de carbone, indépendamment des résidus d’hydrocarbures qui ne seront pas forcément neutres sur le plan environnemental, ni tous utilisables… Mais ça sera dans une usine loin du lieu où circule le véhicule. D’aucun expliquent que cette méthode, couplée au stockage géologique du dioxyde de carbone permettra de régler le problème. Sauf que la séquestration géologique du carbone est encore loin d’être utilisable industriellement… Et qu’on n’a aucun recul sur les effets à court, moyen et long terme de ce stockage sur les couches géologiques où il sera fait.
CH4 + 2H2O → CO2 + 4 H2
La fabrication de dihydrogène par reformation du méthane rejette une molécule de dioxyde de carbone à chaque fois que quatre molécules de dihydrogène sont constituées. Cela peut sembler favorable car le dihydrogène a le pouvoir calorifique par kilogramme le plus élevé… Mais comme il s’agit, et de très loin, de la molécule la plus légère, il faut en fait (indépendamment du rendement du moteur) brûler 14 fois plus de molécules dihydrogène que d’essence pour obtenir la même production énergétique finale. Du coup, il n’est absolument pas certain qu’en considérant la réaction ci-dessus, une voiture ou un autorail à hydrogène n’émette pas plus de dioxyde de carbone qu’une voiture ou un autorail classique… Plutôt ennuyeux pour des véhicules dits « propres ».
Pourtant, ces véhicules prétendument propres génère des fantasmes dans le microcosme politique. Parler devant un élu de véhicule électrique, ou mieux encore à hydrogène, même s’il n’existe de lui qu’un vague croquis dessiné sur une nappe après un repas trop arrosé, est l’assurance d’obtenir une oreille attentive, voir des financements. Ainsi, dans le domaine ferroviaire, alors que le Japon teste depuis plusieurs années parcimonieusement des prototypes, en France le monde des transports régionaux est en train de tomber dans un délire total où chaque région veut être la première à avoir des autorails circulant à l’hydrogène. En se limitant à Auvergne-Rhône-Alpes, il est question d’équiper la relation entre Lyon et Clermont-Ferrand. Les futurs autorails seront-ils adaptés à cet usage ? La puissance de ce type de motorisation semble limitée et la montée de la célèbre rampe des Sauvages risque rapidement de devenir leur chemin de croix, comme elle l’a été pour quelques CC72000 en fin de carrière. Autre question loin d’être anodine, où ces engins pourront être ravitaillés en carburant ? On n’ose imaginer (et les riverains encore moins) que les dépôts de Lyon-Vaise ou de Clermont-Ferrand, largement intégrés aux tissus urbains environnants, puissent servir de centres de stockage d’un carburant aussi instable et destructeur. Bref, il serait temps que tout le monde redescende un peu sur terre, et plutôt que de chercher une solution pour masquer aux yeux du public la folle trajectoire actuelle de surconsommation de l’énergie, on s’attaque réellement au problème en réduisant drastiquement le nombre de véhicules à moteur.