Publié le 14-08-2020 à 11h35
Alors que la propagation du virus SARS-COV-2 dure depuis des mois, le gouvernement pour masquer son impéritie nous amuse avec ses palinodies sur le port du masque dont on finit par ne plus savoir s’il faut le porter sur le nez, la bouche, les yeux ou ailleurs. Ceci sans compter les polémiques annexes (les médicaments, les vaccins, les respirateurs, les surblouses, etc) portées avec complaisance par la presse officielle et ses commentateurs patentés dont le rôle est de ne rien savoir, mais surtout de tout dire, y compris l’inverse de ce qu’ils ont dit la veille. Si on prend la peine de déchirer ce nuage de mensonges divers et surtout avariés, la réalité apparaît dans toute sa brutalité : une crise économique majeure commence à traverser le monde entier.
Certains considèrent que le virus a causé la crise. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue qu’avant son arrivée, la situation économique était déjà très précaire. Les conséquences systémiques de la précédente débâcle économique en 2008 étaient encore loin d’être soldées, avec en particulier une masse monétaire mondiale totalement démesurée conduisant à des spéculations effrénées. Aux dysfonctionnements économiques s’ajoutent dans de nombreuses parties du monde les effets du changement climatique (sécheresses interminables, aléas climatiques violents) qui achèvent de jeter des pans entiers des populations dans la pauvreté et la misère.
En France, ce sont les secteurs industriels, déjà largement fragilisés qui ont été frappés de plein fouet durant la dernière décennie. Rançon d’un choix politique et économique depuis plusieurs décennies d’orienter l’activité sur les domaines de services et du tourisme avec en parallèle une libéralisation. Ainsi, les emplois dans les usines ont été remplacés par des emplois de « services à la personne » (femmes de ménage, livreurs, etc) de plus en plus précarisés et de moins en moins bien payés.
Bref, la situation économique déjà chancelante va connaître une dégradation brutale. Or le financement des réseaux de transport en commun (et plus largement de l’ensemble des infrastructures publiques) est adossé directement ou indirectement à l’activité économique. Ceci veut donc dire que les moyens d’investissement, de développement des réseaux, mais aussi de fonctionnement seront directement touchés par la dégradation de la situation économique.
Les transports en commun sont pour l’essentiel financés par le versement mobilité (antérieurement appelé versement transport) et par les recettes des tickets et abonnements. Le versement mobilité est une taxe sur la masse salariale des entreprises. Il constitue une part très importante des recettes des autorités organisatrices de mobilités. Pour le SyTRAL il représente quasiment 40 % des recettes. Or, dès 2020 cette ressource va baisser brutalement. Tout d’abord, les salaires payés par l’État des employés placés en chômage partiel par les entreprises lors du confinement ne sont pas assujettis au versement mobilité. Ceci devrait dors et déjà entraîner une baisse du rendement du versement mobilité probablement de l’ordre du cinquième ou du quart de son montant. À cela s’ajoutent, toujours pour 2020, les licenciement, le non recrutement de saisonniers, les défaillances d’entreprises en cours ou à venir. On voit donc que très rapidement la baisse de rendement du versement mobilité pour 2020 va se situer entre un quart et un tiers, soit plus de 10 % des recettes globales du SYTRAL. Mais ce n’est pas tout.
Du côté de la billetterie et des abonnements, qui représentent 30 % des revenus du SYTRAL, la baisse s’annonce aussi brutale. Il y a certes les deux mois remboursés aux abonnées à l’année par prélèvement automatique, mais la plus grosse perte de recettes, ce sont tous les tickets et abonnements non vendus, que ce soit pendant le confinement ou après avec les craintes liées à la contamination, mais aussi la chute de l’activité économique et la hausse du chômage. Pour 2020, il n’est pas irréaliste d’envisager une baisse de recettes comprise entre un quart et un tiers.
Au global, la diminution de ces deux postes peut donc entraîner une baisse des recettes du SYTRAL supérieure à 20 % pour l’année 2020. Peut-être une augmentation des subventions des collectivités locales membres ou de l’État viendront réduire partiellement le manque à gagner, mais vu les nombreux besoins qui s’expriment dans tous les domaines économiques, la couverture ne sera pas intégrale. Pour les années suivantes, il est difficile de prédire ce qui va se passer. Cela va dépendre de la conjoncture économique. Toutefois, celle-ci ne s’annonce pas flamboyante et il est déjà certain que les ressources financières du SYTRAL seront inférieures à celles de l’année 2019 sur plusieurs années.
Or les transports en communs sont une activité à coûts fixes élevés. Ainsi, 57 % des dépenses du SYTRAL sont consacrées à l’exploitation du réseau. Ceci correspond au fonctionnement courant du réseau, qu’il s’agisse des salaires des personnels, de l’entretien courant du matériel et des infrastructures, etc. À cela s’ajoute 34 % de dépenses d’équipement. Celles-ci correspondent à la fois au renouvellement du matériel et des équipements en fin de vie, mais aussi aux extensions du réseau, à l’installation de nouveaux équipements. En plus, qui dit revenus en baisse dit capacités d’endettement réduites. Donc le SYTRAL va probablement être amené à réduire ses dépenses.
La conséquence logique prévisible et la plus rapide à mettre en œuvre pour faire face à cette chute brutale de recettes, c’est le gel ou le report des projets d’investissement, en particulier si les marchés ne sont pas encore signés. Autant dire que les extensions du réseau et les renforcements d’offre vont rapidement être reportés à des jours meilleurs. Il s’agit de mesures « indolores » puisqu’il s’agit de ne pas faire des choses qui ont été prévues. Parfois, ce sera un simple décalage d’un ou deux ans permettant de lisser les dépenses. Le prolongement de la ligne B du métro pourrait éventuellement être concerné. La durée de vie des équipements peut aussi être prolongée. On pense en particulier aux rames de MPL75 qui vieillissent très correctement et qui, moyennant une révision un peu poussée et une maintenance correcte, pourraient durer facilement au moins une quinzaine d’années, pour un coût sans commune mesure avec leur remplacement intégral. Du côté des bus, une telle démarche pourrait aussi être menée, pour faire durer les véhicules entre 18 et 20 ans comme c’était le cas il n’y a pas si longtemps, mais un tel choix nécessite un renforcement très net des équipes de maintenance et de réinstaurer des rénovations mi-vie.
Au-delà de ces solutions palliatives quasi-invisibles pour le commun des mortels et si elles se révèlent insuffisantes, il ne restera guère que les réductions de services ou les hausses de tarif, voir une combinaison des deux pour ramener les comptes à l’équilibre. Si la situation économique reste dégradée plusieurs années, il est très probable que cela se produise. En effet, le nombre d’utilisateurs du réseau, tout comme la mobilité en générale, seront alors nettement en baisse qu’il s’agisse des déplacements pour le travail ou pour les loisirs. L’intérêt pour l’autorité organisatrice serait aussi de prolonger à peu de frais le potentiel de ses équipements : une réduction du kilométrage parcouru réduit mécaniquement les besoins d’entretien dans une certaine proportion. Toutefois, l’attractivité du réseau déclinerait alors, ce qui inciterait les gens à se tourner vers les mobilités individuelles, que ce soit la voiture pour ceux qui en auront les moyens, la marche ou le vélo pour les autres. Dans ce contexte d’appauvrissement global de la population et de potentielle réduction de l’offre de transports en commun, la multiplication des pistes cyclables prend alors tout son sens. Car comme le disait une publicité dans les années 1990 : « Si tu n’as pas la nouvelle Clio, roule à vélo. »