Publié le 22-03-2008 à 11h16
L’exploitation des chemins de fer touristiques n’est pas une chose aisée, et l’un des plus ancien de France en apporte régulièrement la preuve.
À environ 90 kilomètres de Lyon, le chemin de fer touristique du Vivarais circule entre Tournon-sur-Rhône et Lamastre, en passant par les impressionnantes gorges du Doux. Cette ligne ainsi que celle de Dunières à Saint-Agrève sont les seuls tronçons survivants du vaste réseau à voie métrique du Vivarais de la Compagnie des Chemins de Fer Départementaux dont le démantèlement a eu lieu en 1968.
Outre les paysages superbes traversés, la ligne de Tournon à Lamastre possède une particularité qui constitue une épée de Damoclès depuis sa reprise en tant que chemin de fer touristique. Il s’agit de l’emprunt sur plusieurs kilomètres, en particulier pour franchir le Doux, entre la gare de Tournon (où le train touristique a sa tête de ligne et son dépôt dans ses propres emprises, séparées de la gare RFF/SNCF) et Saint-Jean-de-Muzols de l’une des voies de la ligne RFF/SNCF de Givors à Nîmes par la rive droite du Rhône (ligne actuellement réservée au trafic marchandises). L’emprunt de cette section de ligne est une source de tracas bureaucratiques, et de taxations financières sans fin. À ce jour, le péage annuel réclamé par RFF pour la circulation du train touristique est de 40 000 € par an (soit entre 0,5 et 1€ par touriste transporté). Ce coût est justifié par RFF au nom à la fois de l’occupation des voies, l’usure des infrastructures, mais aussi à la nécessité de maintenir un agent-circulations en gare de Tournon pour gérer le passage du train touristique sur le tronc commun.
Si les premiers termes de la redevance semblent justes, car la présence du train touristique réduit la capacité de la ligne de la rive droite du Rhône (réduction finalement faible, alors que le nombre de trains de marchandise n’a cessé de diminuer ces dernières années) et use (modestement, vu le nombre de passages réduit et la faible charge à l’essieu des rames) les infrastructures. En revanche, le dernier terme est incompréhensible en cette période où l’on nous explique que quasiment toutes les infrastructures ferroviaires peuvent êtres télécommandés à distance. Pourquoi donc ne pas faire reposer la sécurité des circulations sur les agents du Chemin de Fer du Vivarais (CFV) ? Depuis 2003, et la reprise de l’exploitation par une société d’économie mixte (SEM) dont le département est le principal actionnaire, ce sont uniquement des professionnels qui exploitent la ligne. Cette professionnalisation devrait donc être un gage pour RFF du sérieux de l’entreprise (non que les amateurs ne soient pas sérieux, mais les entreprises et les administrations en ont souvent peur sans raison valable). Ceci pourrait donc permettre de trouver un accord raisonnable, par exemple en mettant les aiguillages d’accès au tronc commun en télécommande depuis le centre de régulation de la ligne de la rive droite à Lyon, avec lequel les agents du CFV se mettraient en relation pour obtenir la voie. Sachant que la section est équipée d’un système de comptage d’essieux à chaque extrémité sur la voie métrique, les risques pour la sécurité des circulations du réseau national sont quasiment nuls.
Locomotive Mallet n°413 en gare de Tournon en juin 1990
Mais bon, la SNCF et RFF considèrent que le « petit train » est un gêneur à éliminer au plus vite de leurs emprises… Même si en 1979, la présence de son rail a sauvé de la destruction, par un wagon SNCF qui venait de dérailler, le pont sur le Doux (Ce troisième rail a permis de guider les roues du wagon, ce qui a évité qu’il percute la structure porteuse du pont). À cette époque, l’épisode avait sauvé le train touristique et son terminus de Tournon en prouvant à tous qu’il n’était pas uniquement une gène à l’exploitation SNCF. Mais, le soulagement et la reconnaissance n’ont eu qu’un temps, qui est révolu.
Le Conseil Général de l’Ardèche, las de l’entêtement de RFF et la SNCF a donc choisi une solution qui va peut-être signer à court terme l’arrêt de mort d’une attraction touristique majeur du département. Il a décidé de supprimer le tronçon entre Tournon et Saint-Jean-de-Muzols, et de reporter la gare de départ et le dépôt sur le site de la Cellière, aux alentours de la halte de Douce-Plage, sur un terrain à aménager d’une surface d’environ 4 ha. Ce nouveau terminus semble devoir être mis en service (au moins avec un aménagement sommaire) dès la saison 2009.
Cependant, on peut se poser la question de l’utilité de cet investissement estimé à ce jour à 4,5 millions d’euros… Soit plus de 100 ans de péage du tronc commun ! On connaît plus économique comme solution pour réduire les dépenses ! De plus, le montage financier pour le moins complexe (c’est la communauté de commune du Tournonais qui sera propriétaire du site, et assurera la maîtrise d’ouvrage lors de la réalisation de la nouvelle gare) va obliger la SEM exploitant le train touristique à payer en loyer 112 400 € par an, soit pas loin de trois fois ce qu’elle paye à ce jour à RFF. Ce prix de location étant assuré… Par une subvention du Conseil Général de l’Ardèche. On marche légèrement sur la tête dans cette histoire, et visiblement, le Conseil Général veut bien être le prescripteur de ce changement, mais ne veut pas en assumer les risques.
On ne peut qu’être très dubitatif face à une telle solution et redouter ses conséquences. Tout d’abord, à l’heure où l’on parle à la fois de développement durable et d’une réouverture au moins partielle aux trains de voyageurs de la ligne de Givors à Nîmes, pourquoi se priver délibérément de cette future correspondance quai à quai ? Sachant que cette possibilité est déjà employée de temps en temps (bien que trop rarement) pour des trains spéciaux organisés depuis Paris ou Lyon. Il ne faut pas non plus oublier que certains clients arrivent par les autocars reliant Valence à Tournon qui disposent d’un arrêt non loin de la gare. Ce nouveau terminus, à moins de prévoir une navette en correspondance avec les trains, deviendra donc inaccessible à cette clientèle. De plus, l’ajout d’une rupture de charge avec un transfert en autocar entre Tournon, et Douce-Plage aura un impact dissuasif fort. Mais rassurez-vous, l’environnement ne sera pas complètement sacrifié, car le tronçon de l’emprise qui sera abandonné sera converti en véloroute.
La gare de Tournon est aussi stratégiquement placée, non loin du centre de la localité, et à proximité du débarcadère des bateaux de croisière sur le Rhône. Son impact sur l’activité économique et commerciale de la localité est donc significatif. Les touristes, qu’ils arrivent par bateau ou en voiture, participent à l’économie locale. Avec la nouvelle gare, le centre de Tournon sera évité par les personnes arrivant en voiture ou autocar, et celles arrivant par bateau ne feront que traverser la ville en car… En admettant que les croisiéristes ne sautent pas carrément l’étape de Tournon pour se simplifier la vie.
Bref, les conséquences du déplacement du terminus pourraient se révéler néfastes pour Tournon, mais peut-être carrément désastreuses pour la ligne de chemin de fer. Cependant, chose très étrange, la communauté de commune du Tournonais participe pleinement au financement de cette opération, même si certains conseillers communautaires semblent se poser quelques questions… À se demander si certains ne prennent pas plaisir à se vider un chargeur de 9mm parabellum dans le pied ! Le plus étonnant dans cette histoire est la passivité des commerçants (cafetiers, restaurateurs, vendeurs de bibelots…) du cru. Généralement lorsqu’on s’attaque à leur clientèle (et surtout leur chiffre d’affaires), ils hurlent…
Si vous souhaitez voir un train à vapeur en voie métrique à Tournon, c’est certainement cette année ou jamais !
P.S. : Il se pourrait que l’opération prenne un peu de retard. La communauté de commune, même si les comptes-rendus de conseils communautaires sont parfois sibyllins, n’a à ce jour lancé qu’une phase d’études (pour un peu plus de 80 000 € H.T. tout de même, soit deux ans de redevance du tronc commun) réalisée par le groupement d’entreprises B_CUBE / SYSTRA / SITETUDES. La suite des études et la conduite d’opération du chantier est dans une tranche conditionnelle de 170 070 € H.T. dont la confirmation n’a pas été votée à ce jour.
Sources : Comptes-rendus des conseils de la communauté de commune du Tournonais des 3 juillet 2007, 2 octobre 2007, et 4 décembre 2007.
Remarquez en particulier comment en 5 mois, le coût estimé de l’opération est passé de 3 millions d’euros subrepticement à 4,5 soit 50% de hausse tout de même, et que le loyer annuel que la SEM devra verser pour l’utilisation de la nouvelle gare est passé de 60 000 € à 112 000 €.