Publié le 10-07-2014 à 18h41
Dans le cadre de l’enquête publique en cours entre le 10 juin et le 11 juillet 2014 sur le « projet d’aménagement et d’extension de la ligne de tramway T3 pour faciliter l’exploitation commune de T3/Rhônexpress et permettre la desserte du Grand Stade à Décines-Charpieu », voici la contribution de Ferro-Lyon.net déposée sur le registre de la mairie de Lyon 3e :
Remarques préliminaires
Cette procédure d’enquête publique interroge sur son caractère démocratique. En effet, cette procédure fait suite à deux autres (une déclaration de projet et une enquête publique) qui ont toutes deux été annulées par les juridictions administratives. Certes les jugements ont fait l’objet d’appels qui sont encore pendants devant le Conseil d’État, mais il n’empêche. C’est sur ces fondements, que la justice a considéré comme illégaux, qu’une partie des travaux est achevée et qu’une autre est en cours, et se poursuit, y compris après les jugements. Et c’est dans ces conditions que l’on vient mener une enquête publique ? Cette absence de respect des décisions judiciaires interroge sur la volonté du demandeur (ici le SyTRAL) et de l’autorité portant l’enquête publique (en l’occurrence l’État) de respecter les procédures démocratiques.
Le respect des procédures démocratiques se pose aussi sur le fond du dossier, puisqu’il s’agit ici d’un projet de développement du réseau de tramways dans le but exclusif de desservir un projet privé de stade et de centre commercial. Ce projet par son ampleur a une importance très élevée pour l’agglomération de par ses impacts sur l’organisation du développement de l’urbanisation à long terme et la sollicitation des réseaux de transport. Or son positionnement géographique a été déterminé non par des objectifs d’organisation urbaine ou d’aménagement du territoire, mais en vue d’optimiser la rente foncière qu’il pourra générer. Ainsi, pour le réaliser, des terrains agricoles exploités ont été achetés à vil prix, et seront revendus, une fois viabilisés, avec une plus-value très conséquente. C’est cette mobilisation de la rente foncière qui fait qu’au lieu des 7 hectares nécessaires pour le stade, ce sont pas moins de 50 hectares qui vont être urbanisés, et qui sous-tend toutes les justifications des adaptations des différents réseaux de transport routiers et ferroviaires.
Il est regrettable qu’une nouvelle fois le dossier n’ait pas été consultable par internet. Le nombre de page du document et sa complexité demandent un temps d’étude important pour construire une contribution argumentée et pertinente. Cette publicité restreinte (bien que légale) est une entrave à l’expression des citoyens.
Introduction
Après ses démêlées judiciaires, le SyTRAL a enfin décidé de présenter un dossier à peu près complet concernant la desserte du grand stade privé de l’agglomération lyonnaise dit OL-Land par le tramway.
Contrairement aux dossiers présentés précédemment à l’enquête publique, les aménagements de la ligne T3 explicités dans le dossier concernent l’ensemble de la ligne et sont censés répondre aux besoins de l’opération privé grand stade.
Analyse
Généralités
Compte-tenu de l’antériorité, et comme c’était déjà le cas dans les dossiers qui ont été présentés antérieurement dans le cadre de cette opération, le dossier d’enquête préalable à la DUP en lui-même est extrêmement brouillon et embrouillé. Les mêmes informations sont dupliquées pour certaines 3 à 4 fois à des endroits différents du document, rendant la lecture ardue. Cependant, certaines informations importantes sur le fonctionnement de l’infrastructure prévue ne sont soit pas évoquées, soit survolées en annexe.
On ne peut aussi que constater l’écart de contenu entre les deux dossiers d’enquête publique présentés en 2011, et le dossier unique présenté en cette année 2014. Cela concerne notamment le coût de l’ensemble. En 2011, le cumul des deux opérations constituait une dépense de 53,6 millions d’euros (19,9 millions d’un côté, 33,7 de l’autre). Le dossier 2013 annonce lui 66,6 millions… Cet écart entre 2011 et 2014 est notable, alors que la consistance des travaux est normalement la même. Les coûts annoncés en 2011 étaient-ils sincères ? Peut-on croire les montants avancés en 2014, ou bien sont-ils encore sous-évalués ? De même, rien n’est dit sur la contribution financière des promoteurs du projet de grand stade et de l’opération immobilière associée aux travaux présentés dans le dossier, alors que ces travaux ont pour unique objectif de satisfaire leurs besoins propres.
Il est aussi regrettable que l’annexe sur l’exploitation qui figurait au dossier d’enquête publique « extension de la ligne T3 pour la desserte du Grand Stade » en 2011 n’ait pas été incluse dans ce dossier, car elle mettait en évidence les problématiques de fiabilité de la trame d’exploitation prévue. Elle présentait notamment des bouts de graphiques d’exploitation qui interrogeaient sur la viabilité de la grille de desserte proposée.
Une étude d’impact à compléter
Concernant l’étude d’impact, et notamment les pièces F1 et F2, il est très surprenant de ne pas trouver un quelconque impact agricole : À quoi servait le terrain artificialisé par le projet pour créer la station de Meyzieu – Les Panettes ? À quoi servait le terrain de la station du stade ? Or l’artificialisation de ces terrains a un coût pour la collectivité à court, moyen et long terme : perte de ressources agricoles, imperméabilisation des sols, par exemple. Il me semble donc que l’étude d’impact est clairement incomplète à ce niveau.
Des contraintes d’exploitation à expliciter
Le dossier reste notamment muet sur l’évolution de la fréquence de la ligne T3 suite à l’extension aux Panettes. Or ce prolongement ne permet plus de tenir la fréquence cadencée antérieure d’un tram toutes les trente minutes. On a donc une dégradation de la lisibilité de l’horaire de la ligne, notamment en période de soirée, mais aussi une perte de capacité globale. Le projet, dans sa partie réalisée, vient donc impacter la qualité de service de la ligne dès à présent, alors que le dossier ne le mentionne pas.
L’annexe 1 du dossier contient quelques éléments sur l’exploitation future, mais reste tout de même très sommaire. Seule concession à la réalité existante, en page 3 de cette annexe, on trouve la constatation lucide « Enfin, l’emplacement du Grand Stade est dans la configuration actuelle peu accessible en masse en voiture en heure de pointe car les principales voies d’accès sont déjà relativement saturées. » Mais alors, la desserte en tramway du grand stade qui est donnée comme permettant de transporter 14 100 sur les 60 000 de la jauge du stade, n’est-elle pas relativement sous dimensionnée par rapport aux besoins ? Les 45 900 autres spectateurs ne vont-ils pas contribuer eux aussi au relatif encombrement du secteur ?
Pour le reste, cette annexe sensée expliciter le fonctionnement de la ligne en présence des services liés au grand stade contient un certain nombre d’ellipses. Si l’on sait que le service du stade va mobiliser 12 rames, rien n’est dit sur le nombre de rames mobilisées pour le service renforcé de la ligne T3. Rien n’est dit d’où viendront les rames mobilisées tant pour le grand stade que pour T3. Quelle(s) ligne(s) verra (verront) leur fréquence réduite les soirs de match ou d’autres manifestations au stade ? Cette dégradation de l’offre sur certaines lignes n’a d’ailleurs pas non plus été intégrée dans le bilan socio-économique de la pièce F5 du dossier.
Comment sera géré le carrousel renforcé de T3 les soirs de match notamment au niveau de la station Meyzieu – ZI où elle sera sensée faire son terminus sur une seule des voies à quai. Que se passera-t-il s’il y a un embouteillage de tramways pour accéder à cette voie? (cas déjà vu régulièrement avant la mise en service du terminus des Panettes.) Cet embouteillage bloquera non seulement T3, mais aussi Rhônexpress, et la desserte du grand stade, puisqu’en provenance de Décines, tout circule sur la même voie.
Toujours sur la qualité et la fiabilité d’exploitation des lignes T3 et Rhônexpress, le document soumis à l’enquête n’exprime aucun élément chiffré de l’impact de la desserte du grand stade sur celles-ci. Y a-t-il eu une étude sérieuse de menée ? Combien de minutes perdront T3 et Rhônexpress à chaque rotation lors du fonctionnement du dispositif de desserte du grand stade ? Cette question est d’autant plus cruciale que l’on parle d’un nouveau dispositif de commande des intersections barriérées, mais sans ni expliquer sérieusement ses principes de fonctionnement et leur impact sur l’exploitation des lignes T3 et Rhônexpress. Là aussi, y a-t-il eu une étude sérieuse de menée ? Là aussi, quel impact cet aménagement aura sur la qualité de desserte de T3 et Rhônexpress ?
Sur le nouveau dispositif de contrôle-commande des intersections barriérées le dossier n’explicite notamment pas les nouvelles fonctionnalités attendues, en particulier par rapport aux aspects sécuritaires. Comment le conducteur d’un tram se trouvant entre le signal d’annonce de l’intersection et l’intersection elle-même sera informé d’une éventuelle réouverture des barrières car le temps limite de fermeture est atteint ? Comment sera-t-il alors en mesure d’arrêter son tramway avant l’intersection ? L’annexion au dossier d’une note du service technique des remontées mécaniques et transports guidés, service de contrôle de l’État sur les lignes de tramway, validant la possibilité technique, juridique et sécuritaire d’une telle réouverture avant franchissement aurait été pertinente.
Le dossier indique que de nouvelles missions « T3 express » seront créées entre Meyzieu et La Soie et/ou La Part-Dieu, mais à quelle fréquence, avec quelle politique de desserte ? Cela reste un mystère, et c’était déjà le cas lors des précédentes enquêtes. Ce ne sont plus des services directs, mais des services mystères… Voir peut-être même fantômes !
Il est aussi remarquable que le dossier limite la question de l’alimentation électrique à l’ajout d’une sous-station au niveau du stade. Pourtant l’équipement électrique de la ligne semble déjà très sollicité, avec des disjonctions régulières de certaines sous-stations suite aux appels de puissance des rames de 43 mètres de longueur utilisées sur la ligne T3. Or il y a de l’ordre de 8 rames T3 en ligne, et au maximum 3 ou 4 Rhônexpress. Que se passera-t-il lorsque les 12 trains pour le stade seront rajoutés à ce total ?
On apprend au détour de cette même annexe 1, à partir de la page 6 que les itinéraires des tramways seront tracés par reconnaissance automatique et identification de la mission des trains pour accéder aux quais de la station du stade. Or, à ma connaissance, le réseau n’est pas équipé de ce type de dispositif actuellement. L’installation de ce dispositif est-il est-elle incluse dans l’estimation sommaire des dépenses présentée à la pièce D du dossier ?
À la fin de l’annexe 1, il est présenté ce qui semble être des hypothèses sur la gestion des flux de piétons souhaitant accéder au tramway à la fin des matchs à la station du stade. Cette partie n’est pas claire : Un choix a-t-il été fait entre les différentes variantes ? Car cela n’apparaît pas clairement.
Insertion du projet dans son environnement
Aux deux extrémités de ligne, l’intégration des aménagements prévus par rapport à l’environnement urbain pose questions.
À la Part-Dieu Sud il est incompréhensible que cette station ne soit pas plus proche de la station Félix-Faure de la ligne T4. Pourquoi n’est-elle pas par exemple implantée dans le trapèze entre les rues Flandrin, Faure, et Mouton-Duvernet ? (voir schéma pièce C2 p 19) En effet, l’éloignement des deux stations est en contradiction évidente avec le principe du plan de déplacements urbains approuvé le 2 juin 2005 par le SyTRAL : « améliorer les déplacements des personnes à mobilité réduite ». Cette station étant loin du cœur de la Part-Dieu, quelles que soient les rames qui devront y faire leur terminus, il faut au moins offrir une correspondance proche aux personnes ayant des difficultés à se déplacer. (proportion de la population en hausse avec l’allongement global de la durée de vie de la population française)
De plus, le secteur de Part-Dieu Sud, éloigné tant des stations Dauphiné – Lacassagne que Part-Dieu Villette, est en cours de renouvellement urbain. L’occasion est donc belle d’installer, plutôt qu’une station temporaire, une station permanente de correspondance entre les lignes T3 et T4. Ce qui éviterait aux personnes transitant entre l’est et le sud de l’agglomération de devoir remonter jusqu’à Part-Dieu Villette pour réaliser leur correspondance. Cette dernière station a des quais étroits et est traversée par des flux piétons très importants la rendant inconfortable.
À Meyzieu – ZI, il n’est expliqué nulle part pourquoi il y a nécessité d’implanter le nouveau parking relais sans continuité avec celui qui existe, et donc pourquoi il faut créer une branche de la ligne de tramway pour desservir ce nouveau secteur. À ma connaissance, il demeure des terrains vierges de construction immédiatement au nord du parking relais actuel, sur l’extrémité sud de la commune de Jonage, qui fait partie de la communauté urbaine de Lyon, et ou, en conséquence, le SyTRAL est légitime à intervenir. De plus, le dossier n’aborde pas une éventuelle extension (même à très long terme) de la ligne T3 en direction de Crémieu. Or cette possibilité est connue, et rien n’indique techniquement que la branche vers Les Panettes ne vienne pas s’opposer à la réalisation de ce prolongement, ou le rendre plus coûteux. Rappelons aussi qu’un tel prolongement, qui s’inscrit dans le cadre d’une mobilité durable, viendrait réduire les besoins de stationnement à Meyzieu, en incitant les personnes venant de l’Isère à prendre le tramway plus en amont.
Conclusion
On peut légitimement s’interroger sur la sincérité d’une enquête publique effectuée alors que les chantiers sont achevés ou en cours. De quelle marge dispose le public dans un tel contexte pour faire évoluer le projet, voir le remettre en cause ? Nous sommes donc face à un simulacre de démocratie, qui se pare des oripeaux de la légalité tout en piétinant l’avis des citoyens.
Le projet présenté pose de nombreuses questions, tant en matière d’urbanisme de gestion des deniers publics, ou d’exploitation ferroviaire. Ce dossier s’attarde sur des aspects périphériques, tout en négligeant des questions importantes.
L’implantation de la station temporaire de Part-Dieu Sud, à l’écart des autres stations de tramway à proximité (station de T4, ou station Villette de T3) est contraire au principe du PDU « améliorer les déplacements des personnes à mobilité réduite » De plus, l’implantation du nouveau parking relais des Panettes et de la nouvelle station, consomment des surfaces importantes d’espaces agricoles et en créant une bifurcation à Meyzieu – ZI rendent plus compliqué l’éventuel prolongement vers le Nord Isère du tramway. En conséquence, le projet s’oppose aux principes d’équité et de développement durable énoncés dans la loi.
J’émets donc un avis défavorable sur le dossier soumis au public lors de cette enquête préalable.